Couppier, Jean-Stanislas à Ampère, André-Marie
A Monsieur Ampère, répétiteur d'analyse à l'école Polytechnique, faubourg St-Germain à Paris
[Lyon],
le 29 Xbre [1804] Je suis bien paresseux, mon cher ami, vous devez être bien mécontent de moi. Je
n'ai cependant pas tout à fait aussi tort que vous devez le présumer. Il y a
quelques jours que j'ai reçu votre lettre de Paris et j'ai reçu dans le moment
les deux lettres que vous m'écrivîtes il y a six semaines de Lyon. Je les
attendais d'un jour à l'autre et je ne voulais pas vous écrire avant de pouvoir
vous répondre sur la théorie des réfractions que vous avez eu la
bonté de m'expliquer dans une de ces lettres. J'ai appris avec bien du plaisir que
vous êtes toujours bien reçu chez M. de Lagrange et M. Delambre et j'espère
que leur protection vous sera bien utile ainsi que celle de Gérando [Degérando],
mais la protection sur laquelle je comptais ici auprès de M. de [?Nompère] est
malheureusement en grand danger. C'est comme vous savez Made d'Ally. Si
quelque chose pouvait me déterminer à faire le voyage de Paris, ce serait bien le
plaisir de vous voir et d'aller un peu avec vous ; car il m'en coûte bien d'être
éloigné de vous pour si longtemps. Je ne présume cependant pas de pouvoir
y aller cette année. Je pense que vous vous occupez bien de mathématiques. Non
seulement vous les professez, mais vos relations avec les savants vous y excitent.
D'après ce que vous me dites des tables de la [Lune (symbole)] qu'on imprime, les
erreurs dans le calcul des longitudes n'iront pas à deux lieues et demi, ainsi il n'y en
aura presque plus que dans l'observation. Vous aurez sans doute appris le mariage de M.
Marc-Antoine Nolhac avec Madelle Bruyset Ste Marie. Nolhac le cadet, dont vous me
demandez l'adresse, demeure rue du Mail, Hôtel des Indes, n° 42. Le temps ne
m'a point permis de faire usage de mon instrument, mais j'ai déjà fait mes
préparatifs pour cela. J'ai placé un signal en pierre sur votre montagne de Mont
Thoux etc. Du reste je perds mon temps comme je l'ai toujours fait, j'entreprends une multitude
de choses que je n'achève point. L'entreprise de M. de Boissieu va toujours son train ;
il copie maintenant les genres qu'on ne peut point trouver auprès de Lyon parce que le
froid ne permet pas de trouver des plantes vivantes. Le texte de la première livraison
est prêt et on va bientôt le faire imprimer. Vous savez qu'elle doit paraître
au 1er février et être composée de 20 planches ainsi de suite,
de mois en mois. Adieu, mon cher ami, vous êtes bien bon de m'avoir écrit le
premier malgré ma promesse, excusez pour cette fois ma négligence qui ne
m'empêchait pas de songer tous les jours à vous, et soyez bien persuadé que
rien ne pourra diminuer mon amitié. Maman me charge de mille choses pour vous. P.S. J'ai bien des remerciements à vous faire de la solution que vous m'avez
donnée sur la courbure du rayon de lumière dans l'atmosphère. Elle est
très claire. Je sens combien je dois vous en savoir gré puisque vous avez eu la
bonté d'y penser dans un temps où une affaire bien importante vous occupait. Mais
j'ai encore un grand plaisir à vous demander, c'est de vouloir bien à votre grand
loisir examiner la méthode dont je me sers pour calculer la réfraction qui est
fort longue et de me dire si elle est exacte et si on pourrait l'abréger. Pour cela il
faut que je vous explique la méthode de mesurer la hauteur des montagnes par le
baromètre, parce qu'elle entre dans le calcul des réfractions, comme vous le
verrez bientôt. Depuis longtemps l'on savait que les pressions de l'atmosphère
à différentes hauteurs (et par conséquent les hauteurs du baromètre
qui indiquent cette pression) étaient proportionnelles aux carrés des hauteurs
des colonnes de l'atmosphère correspondantes, et que par conséquent les hauteurs
du baromètre étant exprimées en nombres, les logarithmes correspondant
à ces nombres représentaient les hauteurs des colonnes de l'atmosphère.
Mais c'est, je crois, Bouguer qui a trouvé par expérience que par un heureux
hasard, en exprimant les hauteurs du baromètre en lignes (pied de Paris), les
logarithmes correspondants pris avec 5 chiffres, c'est-à-dire outre la
caractéristique[?] représentaient la hauteur de la colonne de l'atmosphère
en toises (de Paris) ; qu'ainsi, en observant la hauteur du baromètre en lignes à
deux stations, on avait la différence de hauteur de ces deux stations, dans la
différence des logarithmes de ces deux nombres. Deluc de Genève a compris qu'il
n'y avait qu'une température où cela pût être exact, et il l'a
fixée par expérience à 16° ¾ du thermomètre de
Réaumur. Il a pareillement fixé par l'expérience à 1/215 la
quantité à ajouter aux hauteurs en toises conclues de l'observation du
baromètre pour chaque degré du thermomètre au-dessus de 16° ¾
et vice-versa : ce qui s'accorde assez bien avec les expériences de Dalton et Gay-Lussac
sur la dilatation de l'air par la chaleur. Nota : on observe pour cela le
thermomètre aux deux stations et on prend une moyenne arithmétique entre les deux
températures observées parce qu'on a éprouvé que la chaleur
diminue, d'environ 1° pour chaque centaine de toises d'élévation par exemple,
dans la latitude où nous sommes. Je l'ai éprouvé tout comme M. de
Saussure. Venons aux réfractions terrestres. Tout ce que j'en tiens de sûr
vient de vous, mais j'ai des doutes sur quelques autres points. [voir figure sur
fac-similé]. Soit apbl le rayon terminé à une distance infinie à
l'astre l. Dans la supposition que la courbure de ce rayon soit un cercle, la réfraction
terrestre de l'objet b pour l'observateur a est la moitié de dcb, différence des
réfractions astronomiques en a et en b. Pour avoir la réfraction astronomique en
a, je la prends dans les tables avec les corrections dues à la chaleur et à la
hauteur du baromètre. Quant à la réfraction astronomique en b du
même astre l, elle est beaucoup plus difficile à avoir. 1°. Les seules
tables de réfraction que j'ai la donnent pour les hauteurs apparentes et on ne peut
avoir immédiatement que la hauteur absolue de l'astre l pour le point b. 2°.
Il faudrait connaître les hauteurs du baromètre et du thermomètre pour
corriger la réfraction, et cette hauteur du baromètre ne peut être connue
que par la hauteur de la montagne b qu'on ne connaît pas encore bien. Voici comment je
m'y prends. La hauteur apparente de b me fait connaître à peu près
son élévation en toises au-dessus de a. J'y fais la correction due à la
rondeur de la Terre : je ne puis y faire celle de la réfraction, que je ne connais pas
encore. Je retranche cependant quelque chose de la correction due à la rondeur de la
Terre pour y avoir égard au hasard (vous m'avez appris que c'était environ 1/7
lorsque les points a et b sont de niveau). Cette élévation du point b ainsi
supposée en toises me sert à avoir la chaleur au point b et la hauteur du
baromètre au même lieu
à peu près, en renversant la méthode de Deluc. Je retranche 1/215 de
l'élévation présumée en toises du point b sur le point a, pour
chaque degré du thermomètre au-dessus de 16° ¾. Ce nombre de toises,
ainsi réduit et retranché du logarithme (pris avec 5 chiffres) correspondant au
nombre de lignes du baromètre en a, donne un logarithme dont le nombre correspondant est
celui des lignes du baromètre en b. Quant au thermomètre, je suppose la chaleur
décroissante d'environ 1° pour cent toises d'élévation. La
hauteur apparente de l'astre l vu du point b dont j'ai besoin pour trouver la
réfraction, est composée de trois choses. 1°. La hauteur réelle
de l'astre au point a. 2°. L'arc de la Terre intercepté entre a et b,
quantité dont la hauteur réelle de l'astre au point b surpasse la hauteur
réelle du même astre [de a] 3°. De la réfraction astronomique
que je cherche. Les deux premières quantités me sont connues. J'ajoute
quelque chose au hasard pour la troisième qui est celle que je cherche. Je cherche la
réfraction astronomique des tables pour cette hauteur apparente présumée.
J'y fais la correction du thermomètre et du baromètre dont j'ai calculé la
hauteur et j'ai la réfraction approchée de l'astre l au point b. Cette
réfraction ainsi déduite me sert à en avoir une plus approchée de
cette manière. 1°. Cette réfraction ajoutée (comme tout à
l'heure) à la hauteur vraie de l'astre en a et à l'arc terrestre ab donnera une
hauteur apparente de l'astre l vu de b probablement plus approchante que la
précédente. On cherchera dans les tables la réfraction qui y convient. 2°. On y fera à cette réfraction une correction plus exacte due au
thermomètre mais surtout au baromètre. Car en prenant la moitié de la
différence de cette réfraction à la réfraction en a, on aura la
réfraction terrestre approchée du point b vu de a (qui est le but de nos
recherches). On déterminera donc d'une manière plus approchée la hauteur
de la montagne, ce qui servira à calculer plus exactement la hauteur du baromètre
en b, et à corriger ainsi plus exactement la réfraction astronomique de b. Cette
nouvelle réfraction astronomique ainsi conclue et corrigée, retranchée
comme la première fois, de la réfraction astronomique de a, donnera le double de
la réfraction terrestre que nous cherchons plus exactement que la première fois d'une manière
approchée. Si on ne la juge pas cependant assez exacte, elle servira à
l'avoir plus exactement encore, en refaisant tous les calculs sur cette nouvelle donnée.
L'exactitude va en augmentant à chaque répétition. J'ai
supposé que la courbure du rayon de lumière était un arc de cercle. Vous
m'avez appris à la calculer telle qu'elle est : correction qui est absolument
nécessaire pour les montagnes très hautes. Vous voyez combien ma
méthode est longue. Vous me rendriez un grand service si vous pouviez 1°. m'assurer
si elle est exacte, 2°. la réduire un peu. Et pour cela ne pourrait-on pas, par
exemple, avoir des tables de réfraction pour les hauteurs réelles et non
apparentes. Il me reste encore à vous prier de me donner la manière de
calculer la réfraction pour les objets au-dessous de l'horizon. Vous voyez que je
ne me lasse point de demander. Excusez mon indiscrétion. Mon adresse est 24, Place
St Jean, à [Lyon].
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Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 333
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr980.html
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