@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L958

Présentation de la Correspondance

La Rive, Auguste de      à      Ampère, André-Marie

Monsieur Ampère, Membre de l'Académie royale des Sciences, rue des Fossés-Saint-Victor n°19, Paris
Presinge, le 13 juillet [1826] [année ajoutée au crayon par une autre main]

Il y a bien longtemps, Monsieur, que je désirais venir me rappeler à votre souvenir, mais des occupations et des distractions de plus d'un genre m'en ont empêché. Ayant eu à donner cet hiver deux cours relatifs à des sujets que je n'avais jamais enseignés, et à travailler à un mémoire pour mon tour de lecture à notre Société, je n'ai eu fini tout cela que pour tomber dans nos travaux académiques qui viennent d'être achevés il y a une semaine environ ; le grand nombre d'étudiants que renferme en ce moment notre Académie et en particulier la Faculté des sciences rendent les examens soit annuels, soit de graduation, assez longs et assez pénibles par conséquent. Permettez-moi de vous envoyer par le canal de M. Paschoud quelques uns des programmes des cours de l'Académie pour l'année prochaine ; ils vous mettront assez bien au fait de la marche actuelle de notre enseignement ; l'intérêt que vous voulez bien porter à Genève et en particulier à plusieurs des membres de son Académie dont la plupart vous sont tellement attachés, me fait espérer que vous ne regarderez pas comme indiscret l'envoi que je vous fais. Si vous avez l'occasion de remettre quelques uns de ces programmes aux personnes qui s'intéressent à nos études ou aux jeunes gens qui seraient dans l'intention de venir suivre nos cours, vous nous rendrez un grand service en les faisant connaître ; peut-être M. Dulong qui m'a paru s'intéresser à mes études aurait la bonté d'en prendre connaissance. Mais ce que je désirerais, ce serait que des hommes tels que vous, Monsieur, et M. Dulong, voulussent bien nous communiquer ce qu'ils pensent de la distribution et de la marche de notre enseignement ; ce serait le plus grand service qu'on pût nous rendre. La marche adoptée actuellement doit durer six ans, et c'est au bout de ces six années d'expérience que l'on donnera à notre enseignement toute la stabilité et tous les développements dont il est susceptible en y introduisant les modifications et améliorations que ces six années d'essai auront indiqué être nécessaires ; nous sentons entre autres qu'il y a encore beaucoup de lacunes, malgré toutes les nouvelles branches d'enseignement qu'on a introduites, mais nous chercherons à les combler dans l'intervalle de ces six années, afin qu'au bout de ce temps nous puissions présenter un ensemble satisfaisant. Voilà pourquoi nous désirons vivement qu'on veuille bien nous adresser les conseils que l'on jugera convenables, et nous ne pouvons mieux nous adresser qu'aux professeurs du premier corps savant de l'Europe.
Au milieu de ces objets scientifiques, permettez-moi Monsieur de vous faire part de mon mariage qui va avoir lieu dans deux semaines avec Mademoiselle Duppa, fille unique d'un Anglais établi à Genève depuis la Restauration. Quoique d'une ancienne famille anglaise et quoique fortement attaché à son pays, M. Duppa qui avait épousé une Genevoise à l'époque où, comme tant d'autres Anglais, il fut emprisonné par Bonaparte, ne put résister aux sollicitations de sa femme et quitta l'Angleterre où il était retourné après son mariage pour revenir à Genève. Sa fille qui n'a que 18 ans joint à tous les agréments et les talents de son sexe des connaissances étonnantes pour son âge et que peut expliquer sa grande facilité. Parlant et écrivant également bien l'anglais, le français et l'italien, elle a une intelligence qui saisit tout avec une rapidité étonnante et elle met beaucoup d'intérêt à comprendre et à rechercher les causes. Aussi elle aime les sciences et met par son [illisible] du prix à tous les travaux qui ont pour objets les branches dont je m'occupe. Vous direz [de tout cela] que voilà bien un tableau d'amoureux ; et bien si je suis vivement épris de l'épouse que je vais avoir, ne l'attribuez point à tout ce que je vous ai dit d'elle, mais uniquement à un naturel délicieux et charmant, à une absence d'affectation et de recherche qui séduit tout de suite et dont on ne peut se rendre compte. Je me réjouis que vous en jugiez par vous-même ; en attendant que je retourne à Paris avec elle (car je l'y trouvai dans mon dernier séjour), ne viendriez-vous point nous voir ici ; que nous serions tous heureux de voir renouveler un séjour aussi délicieux que celui que vous nous accordâtes il y a 4 ans bientôt ; il est temps de recommencer ; l'été est superbe, profitez-en, nous vous en supplions.
Je ne vois pas sans un vif plaisir que le mariage que je viens de faire m'appellera souvent en Angleterre et par conséquent à Paris. M. Duppa a une nombreuse famille de frères et possède plusieurs propriétés qui seront pour sa fille et pour moi cause de fréquents voyages dans la grande Île, d'autant plus que son état de santé ne lui rend pas à lui-même les [illisible] très faciles. J'espère donc vous voir souvent à Paris, mais auparavant je vous attends ici. M. Thenard, M. Dulong ne viendront-ils point aussi cet été ? Nous sommes tous à Genève [illisible] M. de Candolle qui va y revenir, ce serait une année favorable pour moi ; puisque aucun ne serait privé du plaisir de voir ces M.M., comme moi je fus privé l'année passée du plaisir de voir M. Arago. J'espère qu'il est bien actuellement ; rappelez-moi à son souvenir ainsi qu'à celui de M.M. Dulong, Fresnel, Savary, Edwards et tant d'autres qui ont été si bons pour moi.
Le mémoire que j'ai lu il y a quelques temps a pour objet la propriété que possèdent les conducteurs métalliques de conserver la vertu électrodynamique quand même ils sont hors du circuit ; mais ce qu'il y a de singulier c'est qu'ils ne peuvent acquérir cette propriété que quand le circuit renferme un conducteur liquide et ils l'acquièrent avec d'autant plus d'intensité que le liquide est meilleur conducteur ; ils ne peuvent non plus la développer qu'autant que le nouveau circuit où on les place dont le galvanomètre fait partie, n'est pas non plus entièrement métallique. Ainsi, je suppose que je préserve les deux fils de platine qui ont servi à la décomposition d'une solution saline, que je les essuie bien et les lave, et que je les transporte aux deux extrémités du galvanomètre, si je les réunis bout à bout métalliquement, non seulement l'aiguille n'est point déviée, mais les fils ne perdent pas même leur pouvoir électrodynamique et quand on les plonge [illisible] les deux extrémités dans un conducteur liquide, l'aiguille est déviée avec une intensité considérable, plus de 90° quelquefois ; mais cette intensité varie suivant des inconstances remarquables… Le sens du courant est tel qu'il va du fil qui était au pôle + de la pile dans le galvanomètre, puis au fil qui avait été au pôle -, puis de ce dernier au fil qui a servi de pôle + à travers le liquide, c.à.d. qu'il va dans le liquide dans un sens différent de celui dans lequel il allait quand les deux fils étaient dans le circuit galvanique. Dans cette figure [cf. figure 1 sur le manuscrit] le fil de platine ab a été transporté du pôle + de la pile à l'extrémité A du galvanomètre, le fil ed à l'extrémité B ; il était au pôle – de la pile ; c'était donc de b en d qu'allait le courant quand les deux fils étaient dans le circuit galvanique ; maintenant au contraire quand on réunit les extrémités b et d par un conducteur liquide, le courant va de d en b comme indique l'aiguille et comme je l'ai marqué dans la figure.
Je ne vous ennuierai pas de plus de détails sur ce sujet ; j'ajouterai surtout que les fils ne présentent pas la propriété dont il est question uniquement dans la fraction qui plonge dans le liquide décomposé, mais dans toute leur longueur avec une intensité qui décroît rapidement depuis l'extrémité, si l'on se sert d'un fil qui réunit deux capsules pleines de liquide dans chacune desquelles plonge un pôle de la pile, tel que le fil ab [cf. figure 2 sur le manuscrit] ; l'on peut beaucoup mieux étudier le phénomène, le fil alors présente deux pôles l'un en a, l'autre en b, et ressemble parfaitement à un aimant dans lequel le fluide magnétique serait remplacé par le fluide électrique (dans la théorie de Coulomb). Je vois aussi que la seule manière d'expliquer les phénomènes qui précèdent et d'autres analogues, c'est d'admettre comme vous le faites et comme vous en avez eu l'idée qu'il y a une décomposition du fluide électrique dans chaque molécule du conducteur ; alors en supposant qu'il y ait une force coercitive comme tout me le fait supposer, on explique les phénomènes en substituant dans la théorie de Coulomb aux mots fluides magnétique ceux [de] fluide électrique ; et chaque fil qui a servi à conduire l'électricité est une portion d'aimant ou un aimant tout entier (dans le cas du fil ab de la fig. 2), dans lequel le fluide magnétique est remplacé par le fluide électrique. Je ne sais si j'ai pu parvenir à vous donner dans le peu de mots qui précèdent une idée exacte de mon mémoire ; j'attendrai pour le publier, que vous ayez publié votre travail sur le sujet, et que vous ayez bien voulu me dire ce que vous pensez du mien ; vous me rendrez un grand service en voulant bien me communiquer votre opinion et vos idées sur ce genre de phénomènes.
Notre cabinet de physique ayant de l'argent à sa disposition, je désirerais que nous possédassions un de vos appareils électrodynamiques. Croyez-vous que ce soit un moment favorable pour en acheter un, ou vaudrait-il mieux attendre ? Comptez-vous y introduire encore quelques perfectionnements ? à qui faut-il s'adresser pour avoir un appareil complet et bien fait ? Et quel en est à peu près le prix ? Nous voulons aussi nous compléter pour l'optique et acheter à et effet les appareils nécessaires pour la polarisation, la diffraction de [illisible]. Que nous conseillez-vous à cet égard ? M. Fresnel aurait peut-être aussi la bonté de nous indiquer ce qu'il vaut mieux acheter et à qui il faut s'adresser ? Mille pardons de mon indiscrétion ; mais vous m'avez donné tant de preuves de votre bonté que c'est à elle que j'ai recours. Mes parents me chargent de leurs compliments empressés ; ils espèrent que vous ne les avez pas oubliés et que vous reviendrez les voir. Recevez aussi l'expression de mon respect et de mon dévouement,
Aug. de la Rive

Vous avez vu dans les papiers que mon ami Marcet a fait cet hiver un voyage en Grèce dans lequel il a été fort [illisible] la cause de ces malheureux. Après [illisible] mois, nous venons d'avoir de ses nouvelles et nous l'attendons incessamment.



Lettre inédite
  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton IX, chemise 182, f. 49-50.

Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr958.html

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