La Rive, Auguste de à Ampère, André-Marie
Monsieur Ampère, Membre de l'Académie royale des Sciences, rue des Fossés-Saint-Victor n°19, Paris
Presinge,
le 13 juillet [1826] [année ajoutée au crayon par une autre main] Il y a bien longtemps, Monsieur, que je désirais venir me rappeler à votre
souvenir, mais des occupations et des distractions de plus d'un genre m'en ont
empêché. Ayant eu à donner cet hiver deux cours relatifs à des
sujets que je n'avais jamais enseignés, et à travailler à un
mémoire pour mon tour de lecture à notre Société, je n'ai eu fini
tout cela que pour tomber dans nos travaux académiques qui viennent d'être
achevés il y a une semaine environ ; le grand nombre d'étudiants que renferme en
ce moment notre Académie et en particulier la Faculté des sciences rendent les
examens soit annuels, soit de graduation, assez longs et assez pénibles par
conséquent. Permettez-moi de vous envoyer par le canal de M. Paschoud quelques uns des
programmes des cours de l'Académie pour l'année prochaine ; ils vous mettront
assez bien au fait de la marche actuelle de notre enseignement ; l'intérêt que
vous voulez bien porter à Genève et en particulier à plusieurs des membres
de son Académie dont la plupart vous sont tellement attachés, me fait
espérer que vous ne regarderez pas comme indiscret l'envoi que je vous fais. Si vous
avez l'occasion de remettre quelques uns de ces programmes aux personnes qui
s'intéressent à nos études ou aux jeunes gens qui seraient dans
l'intention de venir suivre nos cours, vous nous rendrez un grand service en les faisant
connaître ; peut-être M. Dulong qui m'a paru s'intéresser à mes
études aurait la bonté d'en prendre connaissance. Mais ce que je
désirerais, ce serait que des hommes tels que vous, Monsieur, et M. Dulong, voulussent
bien nous communiquer ce qu'ils pensent de la distribution et de la marche de notre
enseignement ; ce serait le plus grand service qu'on pût nous rendre. La marche
adoptée actuellement doit durer six ans, et c'est au bout de ces six années
d'expérience que l'on donnera à notre enseignement toute la stabilité et
tous les développements dont il est susceptible en y introduisant les modifications et
améliorations que ces six années d'essai auront indiqué être
nécessaires ; nous sentons entre autres qu'il y a encore beaucoup de lacunes,
malgré toutes les nouvelles branches d'enseignement qu'on a introduites, mais nous
chercherons à les combler dans l'intervalle de ces six années, afin qu'au bout de
ce temps nous puissions présenter un ensemble satisfaisant. Voilà pourquoi nous
désirons vivement qu'on veuille bien nous adresser les conseils que l'on jugera
convenables, et nous ne pouvons mieux nous adresser qu'aux professeurs du premier corps savant
de l'Europe. Au milieu de ces objets scientifiques, permettez-moi Monsieur de vous faire
part de mon mariage qui va avoir lieu dans deux semaines avec Mademoiselle Duppa, fille unique
d'un Anglais établi à Genève depuis la Restauration. Quoique d'une
ancienne famille anglaise et quoique fortement attaché à son pays, M. Duppa qui
avait épousé une Genevoise à l'époque où, comme tant
d'autres Anglais, il fut emprisonné par Bonaparte, ne put résister aux
sollicitations de sa femme et quitta l'Angleterre où il était retourné
après son mariage pour revenir à Genève. Sa fille qui n'a que 18 ans joint
à tous les agréments et les talents de son sexe des connaissances
étonnantes pour son âge et que peut expliquer sa grande facilité. Parlant
et écrivant également bien l'anglais, le français et l'italien, elle a une
intelligence qui saisit tout avec une rapidité étonnante et elle met beaucoup
d'intérêt à comprendre et à rechercher les causes. Aussi elle aime
les sciences et met par son [illisible] du prix à tous les travaux qui ont pour objets
les branches dont je m'occupe. Vous direz [de tout cela] que voilà bien un tableau
d'amoureux ; et bien si je suis vivement épris de l'épouse que je vais avoir, ne
l'attribuez point à tout ce que je vous ai dit d'elle, mais uniquement à un
naturel délicieux et charmant, à une absence d'affectation et de recherche qui
séduit tout de suite et dont on ne peut se rendre compte. Je me réjouis que vous
en jugiez par vous-même ; en attendant que je retourne à Paris avec elle (car je
l'y trouvai dans mon dernier séjour), ne viendriez-vous point nous voir ici ; que nous
serions tous heureux de voir renouveler un séjour aussi délicieux que celui que
vous nous accordâtes il y a 4 ans bientôt ; il est temps de recommencer ;
l'été est superbe, profitez-en, nous vous en supplions. Je ne vois pas sans
un vif plaisir que le mariage que je viens de faire m'appellera souvent en Angleterre et par
conséquent à Paris. M. Duppa a une nombreuse famille de frères et
possède plusieurs propriétés qui seront pour sa fille et pour moi cause de
fréquents voyages dans la grande Île, d'autant plus que son état de
santé ne lui rend pas à lui-même les [illisible] très faciles.
J'espère donc vous voir souvent à Paris, mais auparavant je vous attends ici. M.
Thenard, M. Dulong ne viendront-ils point aussi cet été ? Nous sommes tous
à Genève [illisible] M. de Candolle qui va y revenir, ce serait une année
favorable pour moi ; puisque aucun ne serait privé du plaisir de voir ces M.M., comme
moi je fus privé l'année passée du plaisir de voir M. Arago.
J'espère qu'il est bien actuellement ; rappelez-moi à son souvenir ainsi
qu'à celui de M.M. Dulong, Fresnel, Savary, Edwards et tant d'autres qui ont
été si bons pour moi. Le mémoire que j'ai lu il y a quelques temps a
pour objet la propriété que possèdent les conducteurs métalliques
de conserver la vertu électrodynamique quand même ils sont hors du circuit ; mais
ce qu'il y a de singulier c'est qu'ils ne peuvent acquérir cette propriété
que quand le circuit renferme un conducteur liquide et ils l'acquièrent avec d'autant
plus d'intensité que le liquide est meilleur conducteur ; ils ne peuvent non plus la
développer qu'autant que le nouveau circuit où on les place dont le
galvanomètre fait partie, n'est pas non plus entièrement métallique.
Ainsi, je suppose que je préserve les deux fils de platine qui ont servi à la
décomposition d'une solution saline, que je les essuie bien et les lave, et que je les
transporte aux deux extrémités du galvanomètre, si je les réunis
bout à bout métalliquement, non seulement l'aiguille n'est point
déviée, mais les fils ne perdent pas même leur pouvoir
électrodynamique et quand on les plonge [illisible] les deux extrémités
dans un conducteur liquide, l'aiguille est déviée avec une intensité
considérable, plus de 90° quelquefois ; mais cette intensité varie suivant
des inconstances remarquables… Le sens du courant est tel qu'il va du fil qui
était au pôle + de la pile dans le galvanomètre, puis au fil qui avait
été au pôle -, puis de ce dernier au fil qui a servi de pôle +
à travers le liquide, c.à.d. qu'il va dans le liquide dans un sens
différent de celui dans lequel il allait quand les deux fils étaient dans le
circuit galvanique. Dans cette figure [cf. figure 1 sur le manuscrit] le fil de platine ab a
été transporté du pôle + de la pile à
l'extrémité A du galvanomètre, le fil ed à
l'extrémité B ; il était au pôle – de la pile ; c'était
donc de b en d qu'allait le courant quand les deux fils étaient dans le circuit
galvanique ; maintenant au contraire quand on réunit les extrémités b et d
par un conducteur liquide, le courant va de d en b comme indique l'aiguille et comme je l'ai
marqué dans la figure. Je ne vous ennuierai pas de plus de détails sur ce
sujet ; j'ajouterai surtout que les fils ne présentent pas la propriété
dont il est question uniquement dans la fraction qui plonge dans le liquide
décomposé, mais dans toute leur longueur avec une intensité qui
décroît rapidement depuis l'extrémité, si l'on se sert d'un fil qui
réunit deux capsules pleines de liquide dans chacune desquelles plonge un pôle de
la pile, tel que le fil ab [cf. figure 2 sur le manuscrit] ; l'on peut beaucoup mieux
étudier le phénomène, le fil alors présente deux pôles l'un
en a, l'autre en b, et ressemble parfaitement à un aimant dans lequel le fluide
magnétique serait remplacé par le fluide électrique (dans la
théorie de Coulomb). Je vois aussi que la seule manière d'expliquer les
phénomènes qui précèdent et d'autres analogues, c'est d'admettre
comme vous le faites et comme vous en avez eu l'idée qu'il y a une décomposition
du fluide électrique dans chaque molécule du conducteur ; alors en supposant
qu'il y ait une force coercitive comme tout me le fait supposer, on explique les
phénomènes en substituant dans la théorie de Coulomb aux mots fluides
magnétique ceux [de] fluide électrique ; et chaque fil qui a servi
à conduire l'électricité est une portion d'aimant ou un aimant tout entier
(dans le cas du fil ab de la fig. 2), dans lequel le fluide magnétique est
remplacé par le fluide électrique. Je ne sais si j'ai pu parvenir à vous
donner dans le peu de mots qui précèdent une idée exacte de mon
mémoire ; j'attendrai pour le publier, que vous ayez publié votre travail sur le
sujet, et que vous ayez bien voulu me dire ce que vous pensez du mien ; vous me rendrez un
grand service en voulant bien me communiquer votre opinion et vos idées sur ce genre de
phénomènes. Notre cabinet de physique ayant de l'argent à sa
disposition, je désirerais que nous possédassions un de vos appareils
électrodynamiques. Croyez-vous que ce soit un moment favorable pour en acheter un, ou
vaudrait-il mieux attendre ? Comptez-vous y introduire encore quelques perfectionnements ?
à qui faut-il s'adresser pour avoir un appareil complet et bien fait ? Et quel en est
à peu près le prix ? Nous voulons aussi nous compléter pour l'optique et
acheter à et effet les appareils nécessaires pour la polarisation, la
diffraction de [illisible]. Que nous conseillez-vous à cet égard ? M.
Fresnel aurait peut-être aussi la bonté de nous indiquer ce qu'il vaut mieux
acheter et à qui il faut s'adresser ? Mille pardons de mon indiscrétion ; mais
vous m'avez donné tant de preuves de votre bonté que c'est à elle que j'ai
recours. Mes parents me chargent de leurs compliments empressés ; ils espèrent
que vous ne les avez pas oubliés et que vous reviendrez les voir. Recevez aussi
l'expression de mon respect et de mon dévouement, Aug. de la Rive
Vous avez vu dans les papiers que mon ami Marcet a fait cet hiver un voyage en Grèce
dans lequel il a été fort [illisible] la cause de ces malheureux. Après
[illisible] mois, nous venons d'avoir de ses nouvelles et nous l'attendons incessamment.
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Lettre inédite
Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton IX, chemise 182, f. 49-50.
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr958.html
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