Pictet, Marc-Auguste à Ampère, André-Marie
à Monsieur Ampère, Inspecteur général de l'université de France, palais de l'université, Paris
Genève,
24 novembre [1814] En vous écrivant il y a un mois, mon très excellent collègue et ami, je
vous disais que vous pouvez vous considérer déjà comme membre d'une
Société qui tiendrait à grand honneur de vous posséder à ce
titre. C'est ce soir même, qu'au scrutin secret, vous avez été reçu
à l'unanimité. Résultat qu'on pouvait aisément deviner. Je
vous enverrai par la première occasion d'ami, votre diplôme qui sera signé
par le Président du jour (notre ami le Prof. Prevost) et par le Secrétaire
perpétuel Colladon (1), le célèbre faiseur de l'eau cordiale, ce
qui est de bonne augure (2). J'ai eu récement, par Mme Gautier, des nouvelles
récentes de notre excellent ami Degérando. Il lui témoigna pour moi un
intérêt dont je suis fort touché. Il paraît croire que je ferai bien
de me rendre actuellement ou prochainement à Paris. Je ne sais s'il a à cet
égard des données bien sûres. Je ne voudrais rompre l'instatu quo,
qui m'a été comme prescrit par notre chef qu'à bonnes enseignes, et aussi
la parfaite certitude que je ne ferai rien que de convenable et ne fût conforme à
ses vues bienveillantes sur moi ; or cette certitude, je ne l'ai pas, et ne puis l'avoir que
lorsqu'il m'appellera, directement ou indirectement. S'il ne veut pas m'écrire, il a
mille moyens pour me faire savoir ses intentions par un tiers. Or aucun de ceux qui sont entre
lui et moi ne me tient ce langage ; je crains que notre ami ne juge d'après des
aperçus généraux qui ne s'appliquent pas à mon cas particulier. Parlons d'autre chose. Je me rappelle fort bien que vous êtes la première
personne qui m'avez fait connaître l'Iode, dans un charmant dîner
d’amis chez vous à la campagne. J'en conclus (peut-être un peu
légèrement) qu'il vous serait possible de m'en procurer une petite
quantité, et seulement de quoi faire quelques expériences de cours, et non de
recherche, car que reste-t-il à glâner après Gay-Lussac et Davy sur cette
singulière substance ? Si cela vous est possible, veuillez remettre le petit flacon, si
petit que vous voudrez, à notre brave collègue Marignié, rue Duphot,
(bureau de la petite porte) qui trouvera sûrement l'occasion de me le faire parvenir en
sûreté. J'ai un autre motif pour ne pas entreprendre
légèrement le voyage de Paris, c'est que je compte commencer le mois prochain mon
Cours particulier de Phys. exp. qui me vaut au moins mille écus (3), tous frais
faits. On ne trouve pas tous les jours à gagner pareille somme ; et il n'y a pour cela
que la saison où nous entrons. Cependant, s'il fallait partir, je
n'hésiterais pas. Adieu cher et excellent collègue. Si je n'ai pas en 1814
le bonheur de vous embrasser, vous ne m'échapperez pas en 1815. Nous venons d'avoir une
excellente visite de notre jadis Préfet, M. Capelle (4), qui paraît être
demeuré notre ami. Nous l'avons accueilli de notre mieux. Recevez l'expression de mon
dévouement le plus entier, et de mon attachement bien sincère.
Pictet
(1) Le pharmacien, chimiste et botaniste Jean-Antoine Colladon (1755-1830) exerçait depuis
1810 les fonctions de secrétaire de la Société de Physique et d'Histoire naturelle. Il
était l'auteur de nombreux travaux inédits, notamment sur les hybridations végétales et les
croisements de souris d'espèces différentes.
(2) L'eau cordiale était une préparation aux vertus toniques, et apparemment au goût de
mélisse, dont le succès fut considérable à la fin du XVIIIe siècle. Vendue dans de petits
flacons carrés à long col d'environ 2 dl (7 onces), elle était offerte par les autorités de
l'ancienne République de Genève à leurs hôtes de marque. La formule de ce breuvage, mise au
point dans la première moitié du XVIIe siècle par le médecin genevois Théodore Turquet de
Mayerne (1573-1655), s'était ensuite transmise comme un secret par plusieurs générations de
pharmaciens Colladon. Elle fut d’ailleurs souvent imitée.
(3) Soit 125 louis, ou près de 6500 florins, soit un peu plus de deux fois le traitement
annuel d'un professeur à l'Académie de Genève.
(4) Guillaume Antoine Benoît, baron Capelle (1775-1843), avait exercé les fonctions de
préfet du Léman du 30 novembre 1810 au 30 décembre 1813. Napoléon l'avait fait emprisonner
pour avoir abandonné Genève sans combattre.
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Lettre publiée dans PICTET, Marc-Auguste. Correspondance. Sciences et techniques, t. II Les correspondants français. éd. René Sigrist, Genève : Slatkine, 1998, p.40-41
Source de l'édition électronique de la lettre : PICTET, Marc-Auguste. Correspondance. Sciences et techniques, t. II Les correspondants français. éd. SIGRIST, René. Genève : Slatkine, 1998, p.40-41
Autre source de la lettre : original manuscrit Genève, Bibliothèque de Genève, Dossiers Ouverts Autographes
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr894.html
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