Pictet, Marc-Auguste à Ampère, André-Marie
Genève,
30 novembre 1810 (1) En quittant Paris pour quelque temps, mon très honoré collègue, je mis
en quelque manière dans vos mains le sort de notre académie, en vous laissant le
Mémoire qui expose ses besoins et les moyens d'y subvenir, et en vous priant de veiller
à ce qu'il pût obtenir un résultat. J'ai eu plus d'une occasion de
remarquer que cette condition importante dépendait d'autres qui le paraissaient bien
moins, par exemple du soin qu'on avait pris, ou non, d'épargner aux bureaux tel ou tel
travail de rédaction. En conséquence nous nous sommes occupés MM. le
Recteur, l'Inspecteur, et moi, de mettre sur le papier un projet d'arrêté pour la
distribution du produit du reversement (supposé admis) entre les Professeurs, au prorata
de leur travail individuel, seul principe équitable à suivre en pareil cas (2).
J'avais supposé dans le mémoire que cette répartition serait
attribuée au Conseil académique sous l'approbation finale de S. E. [son
Excellence] le Grand Maître mais, réflexion faite, nous avons cru qu'il valait
beaucoup mieux qu'elle fût censée venir d'en haut, en même temps que
l'arrêté principal, pour prévenir des discussions qu'auraient pu provoquer
quelques individus chez qui l'intérêt personnel serait trop fortement
prononcé. Je vous adresse donc ci-joint le projet, qui, s'il a votre approbation et
celle de notre respectable collègue, pourrait être soumis au Grand Maître,
et sortir ensuite de ses bureaux comme Minerve de la cuisse de Jupiter. Une lettre de M.
Chabot de l'Allier (3) à un de nos Professeurs de Droit, nous donne la certitude qu'il
appuyera dans son Rapport la conservation de notre École préparatoire de Droit,
dans l'hypothèse (admise) qu'elle sera composée de 4 Professeurs. On lui donnera
la faculté de conférer le baccalauréat ; c'est tout ce que nous demandons
: et loin de porter préjudice aux écoles spéciales, cet
établissement contribuera à les peupler d'étudiants qui, sans la
facilité de faire à Genève leurs deux premières années
d'études, auraient renoncé à cette vocation. Nous espérons le
même avantage, par les mêmes motifs, pour notre École préparatoire de
Médecine et nous mettrons toutes ces espérances sous votre surveillance
bénévole et spéciale, et sous celle de votre digne collègue, au
souvenir duquel je désire vivement être rappelé. Notre Recteur est
embarrassé dans son administration, sur un point sur lequel il n'a pas pu obtenir
d'éclaircissement suffisant : savoir, si les élèves, en prenant 8
inscriptions, c'est-à-dire 4 pour deux cours, doivent payer 24, ou seulement 12 francs ?
Le Règlement imprimé n'est pas clair, ou plutôt lui a semblé
contradictoire là-dessus. Il faut donc recourir à l'usage. Ainsi, veuillez nous
faire savoir ce qui se pratique, afin qu'il s'y conforme. Avez-vous eu, mon cher
Collègue, le temps, et la bonté, de lire le Mémoire de M. Sarthou sur
l'attraction capillaire (4) ? Je désirerais fort connaître votre opinion sur le
mérite de ce travail, qui m'a semblé au premier coup d'oeil simplifier beaucoup
la théorie de M. de Laplace (5). A propos de ce savant, je trouve dans l'annuaire de
1811 (6) dont il m'a fait cadeau, et qu'il présente un peu comme son ouvrage, deux
inexactitudes assez fortes : 1° Après nous avoir dit que les orbites des
planètes sont des ellipses, il ajoute que l'orbite de la Terre s'appelle
l'Écliptique ; ce qui n'est point exact car cette orbite n'est qu'une ellipse
particulière tracée sur le plan de l'Ecliptique (7) ; celui-ci est
essentiellement un cercle considéré sur ce même plan, et dont le rayon
varie comme la distance de la planète qu'on veut lui rapporter ; le soleil est
supposé au centre de ce cercle ; il est au contraire à l'un des foyers de
l'ellipse. 2° Dans le Tableau des départements on donne à l'Aude ce qui
appartient à l'Aveyron (8) et vice versa ; capitale, population, etc. tout est
échangé ! Des ouvrages aussi essentiellement didactiques que ceux-là
devraient être rédigés avec un peu plus de soin. Lorsque vous
voudrez, et pourrez, me faire l'amitié de me répondre, mon très cher
Collègue, veuillez faire partir votre lettre des bureaux de l'Université sous
l'enveloppe grise qui les soustrait au tribut que nous ne devons point quand nous correspondons
pour notre office. Adieu. Je conserve un souvenir précieux de vos aimables
prévenances pendant mon dernier séjour à Paris, et de
l'intéressante réunion à laquelle il me coûta beaucoup de me
dérober certain Dimanche. Je me félicite déjà de la perspective de
vous retrouver l'an prochain. Veuillez agréer l'expression de mon plus entier
dévouement. M. A. Pictet
(1) casier 24, chemise 351.
(2) Boissier, Peschier-Fontanes (inspecteur de l'Académie de Genève) et Pictet réclamaient
donc que le produit des inscriptions, des droits d'examen et des certificats soit réparti
entre les professeurs qui enseignaient effectivement. Beaucoup d'entre eux, nommés à titre
honoraire et sans traitement, ne donnaient en effet pas de cours. Concrètement, les sommes en
jeu, diminuées de différents frais de fonctionnement (chauffage, éclairage, secrétariat),
étaient dérisoires.
(3) George-Antoine Chabot, dit Chabot de l'Allier (1758-1819), juriste, qui collabora à la
rédaction du Code civil. était depuis 1806 inspecteur des études de droit.
(4) Sarthou, qui était professeur de physique au Lycée de Bordeaux, avait adressé son
mémoire à Pictet, qui ne voulait pas se prononcer sans en avoir référé à Biot, et
apparemment à Ampère. Ce n'est finalement que le 7 octobre 1816 que ces deux savants seront
officiellement chargés par l'Institut d'examiner ce travail. Mais les procès-verbaux ne
mentionnent aucun rapport.
(5) Laplace avait présenté ses études sur l'action capillaire devant l'Institut les 28
avril et 29 sept. 1806 et les avait publiées dans les Suppléments I et II au livre X de la
Mécanique céleste (1806) Onclick="javascript:opop('../bibref.php?id=392')">[références].
(6) L'Annuaire du Bureau des longitudes, p. 1861.
(7) L'écliptique elle-même désigne à proprement parler le grand cercle de la sphère
céleste décrit en un an par le Soleil dans son mouvement apparent, ou par la Terre dans son
mouvement réel de révolution autour du Soleil.
(8) L'Aude avait été découpée en 1790 dans la partie méridionale de la province de
Languedoc, en bordure du Roussillon et du comté de Foix (chef-lieu : Carcassone) ; l'Aveyron
constituait la partie la plus orientale de la province de Guyenne et Gascogne, englobant le
Rouergue, en bordure méridionale du massif central (chef-lieu : Rodez).
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Lettre publiée dans PICTET, Marc-Auguste. Correspondance. Sciences et techniques, t. II Les correspondants français. Ed. René Sigrist, Genève : Slatkine, 1998, p.14-15
Source de l'édition électronique de la lettre : PICTET, Marc-Auguste. Correspondance. Sciences et techniques, t. II Les correspondants français. éd. SIGRIST, René. Genève : Slatkine, 1998, p.14-15
Autre source de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 351
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr880.html
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