Ampère, André-Marie à Ampère, Jean-Jacques (fils d'Ampère)
(1)
à Rome (état ecclésiastique), en Italie
Dimanche, 7 décembre [1834] Mon cher fils, je viens de cette réunion des professeurs du Collège de France.
Je me hâte de t'écrire qu'on a reconnu l'impossibilité de reprendre les
cours d'ici à cinq ou six semaines, et qu'on a arrêté seulement qu'il y
aurait une nouvelle réunion le dimanche 18 janvier prochain pour fixer
définitivement l'époque de cette ouverture. On m'a beaucoup parlé du
collègue absent et chargé de mille amitiés pour toi. Par ce moyen,
tu as tout le temps de finir tes recherches sur le passage du monde païen au monde
chrétien : admirable époque de l'histoire du genre humain qui, embrassée
dans son ensemble, ferait le sujet d'un des plus importants et des plus intéressants
ouvrages qu'on puisse imaginer. Car ce sujet n'a jamais été traité et n'a
pu l'être jusqu'à présent, sous un point de vue vrai et impartial : les uns
ne l'ayant considéré que sur le point de vue surnaturel ; les autres dans un
esprit de malice et de dénigrement. Je me hâte de t'apprendre cette
circonstance qui te fera plaisir, mais qui, à mon grand regret, prolongera ton absence
qui m'est bien amère, surtout dans ce moment où les ennuis de tous genres
m'accablent. La presque certitude du retour de M. Ride met le comble. Que j'aurais besoin
de toi ! Dans quels sentiments revient-il ? Je l'ignore. Que va-t-il résulter pour moi
et pour Albine, à qui je cacherai peut-être quelques jours cette nouvelle, qui
m'est arrivée il y a un instant, cette lettre déjà commencée par M.
Benjamin Delessert, avec les quittances des deux derniers payements qu'il lui a fait faire
à la Guadeloupe. Écris-moi, je t'en prie, vers quelle époque tes
travaux à Rome te permettront de revenir en France ! Écris, je t'en supplie,
à ta soeur qui saura tout avant que tu reçoives cette lettre ; car il faut la
prévenir. M. Ride sera sans doute bientôt ici, il a dû partir à la
fin de septembre, d'après ce qu'écrit, peu de jours avant, le correspondant de M.
Benjamin Delessert. M. Ride nous avait annoncé son retour dans les lettres que
nous avons reçues il y a un mois ; mais nous pensions qu'il ne pourrait pas
exécuter ce projet, qu'il avait annoncé plusieurs autres fois sans que l'effet
s'en suivît. Il paraît qu'il a obtenu son passage gratis sur un bâtiment de
l'État. Écris-moi, écris-moi, mon fils, marque-moi l'époque
où je puis espérer de te revoir ! Je te remercie d'avance d'Urania
; c'est bien dommage qu'elle ne soit pas accompagnée de ses soeurs. Je t'embrasse
du fond de mon coeur, de ce coeur navré de ton absence et de cette chaîne d'ennuis
qui se multiplient tous les jours. Tous ceux que tu aimes se portent bien. Ta soeur
m'avait dit hier que, quand je t'écrirais, elle voulait mettre un mot dans ma lettre.
Mais, vu le changement qui vient d'arriver dans sa vie et la mienne, je ne puis lui dire que je
t'écris, sans lui dire aussi que M. Ride va rentrer. Je ne sais encore ce que je ferai
à cet égard ; j'attends pour me décider qu'elle soit revenue de
vêpres où elle est en ce moment. Ton tendre père, A.
AMPÈRE
Brûle cette lettre. Il faudra le bien recevoir. J'ai reçu, il y a un
mois, une lettre de M. Gonod. N'en ayant pas lu l'adresse, je la lus la croyant pour moi, et je
ne soupçonnai que c'était à toi qu'il l'écrivait qu'à la fin
; il t'y demandait des renseignements à prendre à l'Université, et t'y
annonçait sa nomination à la chaire de rhétorique du Collège de
Clermont. J'ai pris des renseignements ; il les a à présent. Comme cette lettre
ne contenait d'ailleurs que des expressions d'amitié pour toi, je me suis borné
à la mettre dans un carton pour te la rendre à ton retour.
(1) Quatre pages in-4°, adresse à la fin.
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