@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

[Accueil] [Plan du site]

Une nouvelle plateforme est en cours de construction, avec de nouveaux documents et de nouvelles fonctionnalités, et dans laquelle les dysfonctionnements de la plateforme actuelle seront corrigés.

@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L794

Présentation de la Correspondance

Ampère, André-Marie      à      La Rive, Auguste de (1)


[avril 1833]

Monsieur et très cher confrère,
Il y a bien longtemps que je n'ai eu le plaisir de vous écrire, ni celui de recevoir de communication de votre part. Je sais que c'est ma faute, mais j'attendais toujours d'avoir quelque chose d'important à vous communiquer, et voilà trois ans que je suis presque exclusivement livré à un immense [travail] dont les différentes parties sont tellement liées, qu'aucune d'elle n'est susceptible d'être présentée indépendamment des autres. L'ouvrage où j'en développe l'ensemble est actuellement sous presse, et il y a déjà huit feuilles tirées, c'est-à-dire un peu plus du quart. Mais ce long silence ne m'a pas empêché de songer bien souvent, de me rappeler le temps où nous faisions ensemble des expériences, où j'ai été si heureux à Genève et à Pressingue auprès de vous, mon cher confrère, et de Monsieur votre père. Je conserverai toute ma vie la plus vive reconnaissance des bontés qu'il eût alors pour moi. Je n'en dois pas moins à [ce] que tous deux vous voulûtes bien faire pour mon gendre lorsqu'il passa quelque temps à Genève. M. Colladon y allant sous peu de jours, je n'ai pu différer plus longtemps à vous écrire une lettre qu'il m'a promis de vous remettre.
Vous savez, mon très cher confrère, qu'en 1822 nous nous assurâmes de la manière la plus précise, comme vous eûtes la bonté de le publier peu de temps après dans la Bibliothèque universelle que, lorsqu'on établissait un courant électrique dans une spirale dont le fil métallique revêtu de soie faisait un grand nombre de tours dans le plan où une lame de laiton très mince était pliée en cercle et suspendue par un fil de torsion, ce cercle étant en dedans et très près des tours de la spirale, il se produisait dans la lame un courant par influence, manifesté par l'action qu'exerçait alors sur elle un fort aimant en fer à cheval, en sorte que cette lame acquérait une aimantation passagère suivant l'expression dont vous vous servîtes pour exprimer les phénomènes d'attraction ou de répulsion, suivant la position des pôles de l'aimant, qui résultaient de la production par influence d'un courant électrique dans la lame.
L'appareil avec lequel nous avons fait cette expérience que j'avais tentée précédemment sans succès, faute d'avoir employé un aimant assez fort est décrit dans mon Recueil d'observations électro-dynamiques , page et gravé dans les planches qui accompagnent cet ouvrage, planche , figure (2).
Depuis, j'ai répété cette expérience nombre de fois, je l'ai faite aux leçons que j'ai données au Collège de France quand la marche de mon cours m'amenait à traiter des phénomènes électro-dynamiques, et elle a toujours parfaitement réussi.
Je désirerais infiniment que vous me fissiez l'amitié de la répéter à Genève si vous ne l'avez pas fait ; car, quoique j'aie eu le premier l'idée de cette expérience, ce n'est que quand nous l'avons faite ensemble qu'elle a réussi, et sous ce point de vue elle nous est commune.
Ne sachant pas l'anglais, je ne connais le mémoire de M. Faraday que par la traduction qui en a paru dans le tome 50 des Annales de Chimie et de Physique ; mais il y a dans cette traduction des points sur lesquels il me paraît impossible que nous ne réclamions pas. J'ai incessamment une occasion d'écrire à M. Faraday par M. Underwood, son ami intime, qui retourne à Londres dans trois semaines et qui s'est chargé de lui porter ma réclamation (3). Je voudrais bien recevoir de vous votre avis sur cela avant de lui écrire et j'espère de toute l'amitié dont vous m'avez donné tant de preuves à ce sujet.
Il est de fait que nous avons obtenu les premiers, en 1822, le courant électrique par influence ou induction, comme dit M. Faraday, à l'instant où nous avons établi le courant

[Figure : voir fac-similé]

dans une spirale qui entourait un cercle formé d'une lame mince ainsi pliée et suspendue par un fil de soie GH à un crochet K ; que cet effet s'est manifesté par l'attraction ou la répulsion d'un fort aimant en fer à cheval A que nous avait prêté M. Pictet, suivant le pôle qui se trouvait dans l'intérieur du cercle en B et celui qui était placé hors du même cercle en D. Malheureusement, ni vous ni moi nous ne songeâmes à analyser ce phénomène et à en reconnaître toutes les circonstances. Nous aurions vu, ce qu'a découvert depuis M. Faraday, que ce courant ne dure qu'un instant et qu'il a lieu en sens contraire du courant établi dans la spirale qui le produit par induction.
C'est à M. Faraday qu'appartient la découverte de toutes les lois des courants produits par influence, c'est lui qui a reconnu le premier qu'ils le sont non seulement à l'instant où l'on produit ou détruit le courant de la spirale, mais qu'ils le sont encore lorsqu'on se borne à l'approcher ou à l'éloigner, de manière que, quand on le produit ou qu'on l'approche, c'est dans le sens contraire au sien qu'a lieu le courant instantané, tandis que, quand on le détruit ou qu'on l'éloigne, c'est en sens contraire.
C'est en effet ce qui arrive dans notre expérience, ainsi que je m'en suis assuré depuis la découverte de M. Faraday, une des plus importantes qui se soient faites dans ce siècle, en ce qu'elle vient couronner l'édifice qu'ont élevé les autres. Mais, parce qu'il complète la théorie des phénomènes électro-dynamiques, cela n'empêche pas que nous ayons obtenu ensemble à Genève le courant par influence dans l'expérience en question. Les deux passages de M. Faraday dont je vous ai parlé tout à l'heure et que je vous prie de relire à l'occasion de cette lettre, pour que ce que je vais dire ne vous présente pas d'obscurité, sont :
1° L'article 78 de son mémoire (p. 39 et 40 du tome 50 des Annales de Chimie et de Physique). On y trouve que j'ai dit que, si l'on suspend à un fil de soie un disque de cuivre et qu'on l'entoure d'une spirale, en dirigeant à travers la spirale la décharge d'une puissante pile voltaïque, en même temps qu'on présente un aimant énergique au disque de cuivre, celui-ci tourne immédiatement pour prendre une position d'équilibre, etc. J'ignore absolument comment M. Faraday a pu croire que je m'étais servi d'un disque, car j'ai relu, dans l'intention de le découvrir, la publication que vous avez bien voulu faire en 1822 de notre expérience, et j'ai vu que vous dites expressément que nous avons employé, comme je l'ai toujours fait depuis, une lame très mince pliée en cercle et que, dans la figure (4) planche de mon Recueil d'observations électro-dynamiques où j'ai représenté l'appareil avec lequel je fais cette expérience, c'est une lame mince, pliée en cercle comme les cercles d'un tonneau, qui est représentée suspendue dans la spirale.
Si M. Faraday a employé un disque, il n'est pas surprenant qu'il n'ait pas réussi ; mais si, comme nous, il s'était servi d'une lame de cuivre pliée en cercle. Il aurait vu qu'il n'y a pas besoin pour obtenir le phénomène en question, d'un appareil électro-magnétique d'une délicatesse et d'une puissance aussi grandes qu'il veut bien le supposer. Il aurait vu que, quoique le courant par influence soit presque instantané, il dure un temps qui, quoique très petit, suffit pour que cette lame très légère se mette en mouvement ; car enfin il est incontestable qu'elle s'y met alternativement dans deux sens opposés, lorsqu'on établit le courant dans la spirale ou qu'on le détruit.
M. Faraday m'attribue d'avoir avancé que le courant produit par influence était dans le même sens que celui qui le produisait. J'ai cherché inutilement, soit dans la publication que vous avez faite en 1822 de notre expérience, soit dans ce que j'ai écrit depuis sur la production d'un courant électrique par influence, s'il était dit quelle était la direction de ce dernier relativement à celle du courant qui le produit. Seulement j'ai pu dire, en parlant de l'aimantation d'un fil ou d'un barreau d'acier dans une hélice parcourue par le courant électrique, et dans l'hypothèse que les courants moléculaires... (5).



(1) Bibliothèque publique et universitaire de Genève. Cette lettre n'est pas datée ; mais
elle est évidemment de la même époque que la Lettre 0795 à Faraday qui développe plus
longuement les mêmes idées. L'Essai sur la philosophie des sciences est daté de 1834. La
Lettre 0793 montre qu'il était presque complètement imprimé en mars 1833 ; mais les 0801,
0805, 0807 font voir qu'il y eut des retards.
(2) Ampère a laissé ces indications en blanc.
(3) Voir la Lettre 0795.
(4) Indications laissées en blanc par Ampère.
(5) Cette lettre est inachevée. Voir, dans la Lettre 0801, ce qui a dû lui arriver.



Correspondance du Grand Ampère, tome II, p. 760-761-762-763
  Source de l'édition électronique de la lettre :
DE LAUNAY (Louis). Correspondance du Grand Ampère. tome II. Paris : Gauthier-Villars, 1936. p. 760-761-762-763


  Autre source de la lettre : brouillon manuscrit
Genève, Bibliothèque de Genève, Ms 2314.


Voir le fac-similé :     
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr794.html

© 2005 CRHST/CNRS, conditions d'utilisation. Directeur de publication : Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS