Ampère, André-Marie à Ampère, Jean-Jacques (fils d'Ampère)
(1)
Bureau restant à Rome, état ecclésiastique
Paris,
1er mai 1824 Cher ami, combien ta dernière lettre m'a fait éprouver de plaisir ! J'en avais
bien besoin dans les chagrins qui m'accablent. Tu ne peux te faire une idée du concours
de circonstances qui se sont réunies pour que la vacance de la place de professeur de
physique au Collège de France, que j'ai été sur le point d'obtenir et dont
les chances ont ensuite tourné contre moi, devînt un grand malheur pour moi. A
présent, on m'offre de me la rendre si je donne ma démission de la place
d'inspecteur (2), tandis que je la désirais surtout pour donner ma démission de
celle de l'École Polytechnique, parce que ni ma poitrine, ni d'autres circonstances
encore ne me laisseront probablement pas la possibilité de faire bien deux cours de
cette nature, surtout depuis qu'on exige : d'une part, des professeurs de l'École, la
rédaction de leur cours, qui est un travail de deux ans à ne faire que cela et,
de l'autre, que, pour faire le cours de physique comme je l'avais conçu, il aurait fallu
m'en occuper à peu près exclusivement. Mais aussi comme j'en aurais fait alors un
modèle pour tous les cours de physique à venir ! Je ne sais ni à
quoi je me déciderai, ni ce qui arrivera de tout cela. Mais il en résulte, pour
moi, un chagrin que je ne puis exprimer. J'ai été heureux quelques instants de ce
que contient ta lettre d'expression de tendresse pour moi ; ce que tu me dis de ton impatience
d'avoir de mes lettres me fait un reproche de t'écrire si rarement. Au reste, tu en as
dû recevoir une d'Albine, qui se sera croisée avec la tienne, et où je
crois avoir écrit quelques mots. Je n'en sais rien cependant ; car de la manière
dont le temps s'écoule, je ne sais plus ce que j'ai fait moi-même au bout de
quelques jours. M. de Jussieu est tout à fait remis ; il est venu lundi
passé à la séance de l'Institut. Tout le monde ici me parle de toi, me
demande de tes nouvelles, me prie de t'écrire mille choses de leur part. J'ai
reçu des loyers pour toi, mais je ne les adresse pas à Rome dans ce moment, de
crainte que tu ne sois à Naples et que, ne pouvant aller toucher le montant, il y ait
à craindre quelques malheurs si la lettre venait à s'égarer. Où que
ce soit que tu reçoives cette lettre, écris-moi à quelle époque tu
seras sûrement de retour à Rome pour que j'y envoie, bureau restant, une lettre de
change à cette époque ! J'écris par le même courrier à
Ballanche. Dans la lettre que je lui envoie, il y en a une de Dupré. Il ne m'a point
donné d'adresse et je me suis déterminé à lui écrire comme
à toi bureau restant à Rome. Mais, comme j'ignore si, comme toi, il va y chercher
les lettres qu'on pourrait lui adresser à ce bureau, je te prie, dès que tu auras
reçu cette lettre, de le prévenir qu'il y en a une bureau restant à Rome
pour lui, afin qu'il aille la réclamer. Combien je voudrais avoir le temps de
t'écrire plus au long ! J'aurais tant de choses à te dire ; mais je suis
si accablé d'ouvrage que je ne puis faire, qu'il faut renoncer à cette
consolation. Quel bonheur ce sera pour moi quand je pourrai te revoir ! Il y aura
après-demain six mois que je ne t'ai pas vu. Écris-moi bien des détails
sur Naples ! Fulgence [Fresnel] y a-t-il été avec toi ? Veille bien à ne
pas dormir dans la voiture en traversant les Marais Pontins ; tu sais comme cela est dangereux.
Je pense qu'on ne s'arrête pas dans des auberges situées dans la partie malsaine
de la route. Tu sais si je t'aime et si je t'embrasse de toute mon âme. A.
AMPÈRE.
(1) Quatre pages in-4°, adresse au bas de la dernière.
(2) C'est ce que l'administration finit par imposer à Ampère le 21 septembre après six mois
de lutte. On remarquera que, d'après Ampère, les bureaux du Ministère offraient de lui
"rendre" la chaire du Collège de France. Voir la lettre de Sautelet du 13 juin montrant la
suite de ces négociations trop politiques.
|
|