Ampère, André-Marie à Ampère, Jean-Jacques (fils d'Ampère)
(1)
Poste restante à Genève (Suisse), Confédération helvétique
Paris,
19 septembre 1820 Rien ne m'a fait plus de plaisir, mon bon fils, mon plus cher ami, que tes deux lettres de
Lucerne [du 9 septembre]. J'étais tourmenté de n'avoir plus de tes nouvelles et,
quand je les ai lues, j'étais comme un homme affamé à qui l'on apporte un
excellent dîner à deux services plein de mets délicieux ; ces mets,
c'étaient des pensées, des peintures, des sentiments, qui m'attachaient, me
faisaient partager les impressions que tu as éprouvées dans cette belle Suisse,
et m'enchantaient par leur analogie avec les miennes. Tu peins admirablement les lieux que tu
as parcourus, et les détails relatifs à l'éclipse m'ont
singulièrement intéressé. J'attends ton retour comme un moment bien
heureux dans ma vie. D'après ce que tu me dis, je l'espère dans trois
semaines. Continue de prendre note de toutes les plantes que tu trouves dans ton voyage !
Si je peux au Jardin du Roi m'en procurer quelques-unes, je les cultiverai dans le mien et tu
les y verras en mémoire de la Suisse. J'ai fait tes commissions autant que cela
m'était possible ; car Fulgence [Fresnel] n'est pas encore de retour et Prosper le
Poitevin est allé passer un mois à la campagne. Sautelet avait eu une
espèce de rechute, il va bien de nouveau ; ce que je lui ai dit de ta part lui a fait
bien plaisir. Du 25 septembre au soir – J'ai eu bien tort et je me repens
beaucoup de n'avoir pas fait partir cette lettre il y a trois jours. Je ne m'en consolerais pas
si je n'espérais qu'en partant demain, elle te trouvera encore à Genève.
J'allais l'achever pour la faire partir samedi dernier lorsque j'ai reçu la tienne
datée de Meyringen à ton second passage par cette ville, où tu m'annonces
ton départ pour le Saint-Gothard. C'est pour y répondre d'abord que je ne finis
pas la mienne, croyant toujours la finir vendredi soir ; mais tous mes moments ont
été pris par une circonstance importante de ma vie. Depuis que j'ai entendu
parler pour la première fois de la belle découverte de M. Oersted, professeur
à Copenhague, sur l'action des courants galvaniques sur l'aiguille aimantée, j'y
ai pensé continuellement, je n'ai fait qu'écrire une grande théorie sur
ces phénomènes et tous ceux déjà connus de l'aimant, et tenter des
expériences indiquées par cette théorie, qui toutes ont réussi et
m'ont fait connaître autant de faits nouveaux. Je lus le commencement d'un mémoire
à la séance de lundi il y a aujourd'hui huit jours (2). Je fis les jours
suivants, tantôt avec Fresnel, tantôt avec Despretz, les expériences
confirmatives ; je les répétai toutes vendredi soir chez Poisson où
s'étaient réunis les deux de Mussy, Rendu, plusieurs élèves de
l'École Normale, le général Campredon, etc. Tout réussit à
merveille ; mais l'expérience décisive que j'avais conçue comme preuve
définitive exigeait deux piles galvaniques ; tentée avec des piles trop faibles
chez moi avec Fresnel, elle n'avait point réussi. Enfin hier j'obtins de Dulong qu'il
permît à Dumotier de me vendre la grande pile qu'il faisait construire pour le
cours de physique de la Faculté et qui venait d'être achevée. Ce matin,
l'expérience a été faite chez Dumotier [Dumotiez] avec un plein
succès et répétée aujourd'hui à 4 heures, à la
séance de l'Institut. On ne m'a plus fait d'objection et voilà une nouvelle
théorie de l'aimant, qui en ramène, par le fait, tous les
phénomènes à ceux du galvanisme. Cela ne ressemble en rien à
ce qu'on en disait jusqu'à présent. Je le réexpliquerai demain à M.
de Humboldt, après-demain à M. de Laplace au Bureau des Longitudes. Ta
tante Carron va un peu mieux. J'ai été déjeuner chez elle avec ma soeur,
ma cousine et Albine. Nous te regrettions tous beaucoup ; Ampère, qui se trouvait
à Paris, en était. Tout le monde ici attend ton retour et t'adresse mille voeux.
A l'exception de Mme Carron, tous ceux que tu aimes à Paris se portent bien. Lenoir et
Dupré, à qui j'ai parlé de toi, sont partis samedi à 5 heures pour
Lyon. Dupré ira de là à sa sous-préfecture de Saint-Flour en
Auvergne, et Lenoir reviendra sous un mois à Paris. Je n'ai point de nouvelles
récentes de Ballanche ni de Bredin, à qui je n'ai pas eu le temps
d'écrire. Vois Roux, MM. Pictet et de Candolle à Genève ! Dis à
Roux l'impossibilité où je suis de lui écrire. Mille choses de ma part
à tes compagnons de voyage ! Ton papa t'embrasse mille et mille fois. A.
AMPÈRE
(1) Quatre pages 20 x 25,3, adresse sur la quatrième. Timbre port payé.
(2) Voir la bibliographie ci-jointe. Tous les mémoires d'Ampère relatifs à
l'Électrodynamique ont été réimprimés en 1885 et 1887 dans deux in-8° par la Société de
Physique sous la direction de M. Joubert (Gauthier-Villars). L'invention du télégraphe (voir
pl. XVII) remonte à cette époque.
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