Ampère, André-Marie à Roux-Bordier, Jacques
(1)
[18 mai 1819] Mon cher ami, c'est un vrai désespoir que de manquer de temps. J'ai vingt fois
inutilement préparé dans ma tête de longues réponses à toutes
vos hérésies politiques, économiques, psychologiques, etc. ; car je ne
sais par quel mauvais sort mes idées sur ce sujet sont absolument contraires aux
vôtres. Mais le temps, le temps ! Où peut en trouver un pauvre homme
absorbé par mille occupations dont son existence et celle des autres dépendent et
qui, pour l'achever, a eu la sottise de devenir propriétaire à Paris d'une maison
et d'un jardin qu'il faut remplir d'ouvriers ? Ils ont bientôt fini, grâce à
Dieu ; mais le résultat de mes combinaisons, c'est que le Journal de l'École
Polytechnique, où j'imprime un grand mémoire de mathématiques, reste
là interrompu. On crie contre moi comme si j'étais un scélérat ; je
ne sais où donner de la tête et je pars dans treize jours pour ma tournée
d'inspecteur général. Ah, si je pouvais vous rencontrer à Lyon ou au
Molleron, comme j'expliquerais bien tout ce que je ne peux écrire. Si nous sommes aux
antipodes à propos de certains sujets, il n'en est pas de même à
l'égard de vos observations sur l'ouvrage de Ballanche ; mais, de ce que vous avez presque toujours raison contre lui, il n'en est
pas moins admirable. Adieu, je vous aime de tout mon cœur.
(1) D'après Mme Cheuvreux, p. 155. Cette lettre semble une première ébauche ou un résumé
du 338-339. Le mémoire au Journal de l'École Polytechnique est l'application à
l'intégration des équations différentielles, portant la date de 1820.
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