Ampère, André-Marie à Bredin, Claude-Julien
(1)
Directeur de l'École vétérinaire, à Lyon (Rhône)
Paris,
16 mai 1814 Mon bon ami, la dernière lettre que j'ai reçue de toi était
datée des premiers jours d'avril, tu étais alors malade. Juge quelles doivent
être mes inquiétudes ; depuis lors, aucunes nouvelles de ce qui te touche ! Es-tu
plus souffrant encore ? Que puis-je penser ? Deux lettres à Ballanche où je le
priais de me parler de toi, de me donner de tes nouvelles, sont restées sans
réponse. Je t'en ai écrit au moins trois autres depuis qu'on dit la poste
rétablie. Ne l'est-elle pas, ou mes lettres ne parviennent-elles pas ? Je crains, je
désire également d'en recevoir. Si, autrefois, je t'ai laissé longtemps
sans t'écrire, j'éprouve bien douloureusement la punition de ma faute. Mes
inquiétudes augmentent en ne voyant point arriver de lettre. Chaque jour, j'en attends,
et la journée s'écoule inutilement dans cette attente ! Si tu as
éprouvé la même chose par ma faute en d'autres temps, combien j'ai de
reproches à me faire ! Mon ami, à mesure que j'ai perdu d'autres objets
d'affection, toute mon âme s'est portée vers toi, vers toi surtout et aussi vers
nos amis de Lyon ; mais je ne sais rien d'eux, ils ne pensent plus guère à moi.
Ce n'est pas toi que j'accuse ; peut-être es-tu hors d'état de m'écrire.
Mais alors quel tourment pour ton ami ; cette seule pensée m'effraye ! J'ai vu
Degérando, je lui ai fait tes commissions. Sa santé est toujours assez
chancelante, il n'a que des chagrins dans sa vie privée faits pour toucher le coeur le
plus dur ; sa femme souffre horriblement ; ce qui me fait craindre que sa maladie ne soit
confirmée. Alors plus de ressource que dans cette horrible opération ! Ton
silence à leur égard est suffisamment motivé par tes inextricables
embarras. Mais ne tarde plus à écrire à M. Degérando ! Ta lettre
lui montrera que tous ses amis ne s'éloignent pas de lui. Elle lui fera un si grand
bien. J'ai vu cela ; il me disait qu'il voulait t'écrire. Je sens que, si tu l'aimes, tu
dois lui écrire. Je t'en prie par l'amitié qui nous unit tous trois ! Cette
lettre est sur mon bureau depuis nombre de jours. Je voulais toujours l'achever et toujours
j'en étais empêché par mille choses. Je n'en puis plus. J'espérais
lire lundi. Pas un moment à perdre ! J'ai fait tous les efforts possibles et il faut y
renoncer ! Je souffrais beaucoup de mes pensées quand j'ai reçu ta lettre
du 13 mai (2). Mon ami, marque-moi les dates de tes lettres précédentes ! A
l'avenir, je t'écrirai les dates des miennes, ou bien nous les numéroterons, car
il me paraît clair à présent qu'il s'en perd. Ce que tu me dis du coeur
humain m'a fait d'autant plus de peine que j'ai fait les mêmes observations. Te ne vois
partout qu'un égoïsme qui sacrifierait le genre humain au plus petit
intérêt. Ainsi je ne suis que trop loin de rejeter ce que tu m'écris.
As-tu lu l'Allemagne de Mme de Staël ? Parle-m'en ! Lis les deux ouvrages de B. [Benjamin] Constant. Le premier ? est à la troisième
édition. Le second paraîtra demain ou
après-demain, c'est sûr. Lis-le dès qu'il sera à Lyon et parle-m'en
! On dit que rien n'approche de cela. Songe à moi, Bredin. Écris-moi de
longues lettres ; c'est ma vie, mon seul bonheur. Fais-moi part de ces observations
physiognomoniques et autres dont tu me parles. Je t'embrasse mille fois de toute mon
âme.
(1) Quatre pages in-4°, adresse à la fin. Lettre arrivée seulement le 10 juin à Lyon.
(2) Cette lettre manque.
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