@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L470

Présentation de la Correspondance

Ampère, André-Marie      à      Bredin, Claude-Julien (1)

Directeur de l'École impériale vétérinaire, à Lyon (Rhône)
24 février [1814]

Mon ami, j'ignore si tu as reçu ma dernière lettre ; si tu l'avais reçue, tu y aurais répondu. Ah, oui, tu y aurais répondu, quoique tu ne puisses te faire une idée de la situation de l'âme de ton ami. Voilà près d'un mois que je n'ai pas de tes nouvelles. Peut-être que les communications sont interrompues ; cependant on m'a dit que les lettres de Lyon arrivent ici. J'ai été bien malade ; voilà près de quinze jours que je ne suis presque pas sorti. C'était un rhume que le chagrin avait aggravé et mêlé de fièvre et de douleurs dans le dos, le cou, qui me tenaient tout raide. Mes leçons avaient été suspendues par suite des événements ; elles reprendront mardi prochain ; je serai probablement remis alors, car je suis comme guéri... du corps. Je priais tout à l'heure comme autrefois ; mais, je sentais bien que ces prières étaient rejetées, elles partaient d'une volonté perverse, librement perverse : presque sans motif pour l'être, voulant l'être sans en attendre même du plaisir ou du bonheur dans cette vie. C'est une énigme inexplicable pour moi, quand je me considère comme un autre. J'avais tant réfléchi à Nogent ! Si j'y avais prié aussi ! Mais je demandais des événements qui forçassent ma volonté au bien et je n'aurais eu qu'à le vouloir !
A présent, je le sens bien, tout mon chagrin est de ne pas pouvoir être pire que je ne suis. Je n'ai qu'un ami, c'est près de lui seul que je pourrais trouver quelque consolation, et il est à 100 lieues de moi ; qui sait si je le reverrai jamais ? Peu s'en est fallu, me disais-tu dans ta dernière lettre, que tu ne sois venu à Paris. Je n'étais pas digne de ce bonheur et, à cette époque, il manquait encore beaucoup à mes peines, je n'avais que du chagrin.
Mais pourquoi, parmi tant d'événements extraordinaires arrangés comme exprès pour m'accabler, ne s'en est-il trouvé aucun pour soulager le poids qui m'oppresse ?
Mon ami, mon ami, écris-moi, je voudrais voir une ligne de toi ! Ils croient que je me tourmente des événements politiques ; ils croient que c'est d'une place à l'Institut que je suis inquiet. Ah, que tous ceux qui me connaissent le croient, excepté toi seul, Bredin ! Écris à ton pauvre ami ! Toutes les peines où tu m'as vu précédemment n'étaient rien en comparaison des peines actuelles ; elles sont toute ma vie. Je te fais du chagrin en me plaignant à toi ; pardonne-le moi, mon ami !

27 février – On m'a interrompu hier quand j'en étais là de ma lettre ; mais, puisqu'elle est écrite, elle sera envoyée ! Mon ami, depuis trois semaines que je souffre, je voulais te le cacher ; mais je ne peux plus résister à l'envie de te dire que ton ami ne voit plus de ressources pour retrouver jamais un peu de tranquillité. Jamais, pour lui, de moments supportables ! Rappelle-toi le vers de Phèdre, il peint un peu ma position quoiqu'elle soit pire que la sienne. Si j'étais près de toi, je te pourrais faire comprendre ce qui la rend si pénible ; mais je n'en écrirai jamais rien ; je suis un misérable d'en avoir tant écrit. Il faut que je cesse ! Prie pour moi, demande pour moi la force de prier ! Mais à quoi pourrait-elle me servir ? Mon ami, je t'embrasse, mais d'un coeur bien serré de tristesse. Aie pitié de moi. Brûle cette lettre, au nom du ciel, dès que tu l'auras lue !

A. AMPÈRE



(1) Quatre pages in-4°, adresse sur la quatrième.

Correspondance du Grand Ampère, tome II, p. 460-461
  Source de l'édition électronique de la lettre :
DE LAUNAY (Louis). Correspondance du Grand Ampère. tome II. Paris : Gauthier-Villars, 1936. p. 460-461


  Autre source de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 340
(Quatre pages in-4°, adresse sur la quatrième.)


Voir le fac-similé :
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr470.html

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