@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L450

Présentation de la Correspondance

Ampère, André-Marie      à      Davy, Humphry (1)


Paris, 20 juin 1813

Monsieur, j'ai mille remerciements à vous faire du mémoire que vous avez eu la bonté de m'envoyer, et de la lettre dont il était accompagné. M. Vauquelin m'a remis l'un et l'autre il y a quelques jours. J'avais su l'accident qui vous était arrivé et, au chagrin qu'il devait naturellement me faire, se joignait celui d'en avoir été en quelque sorte la cause, en appelant votre attention sur une substance qui, de toutes les substances détonantes, est celle qui exige le plus de précautions lorsqu'on veut la soumettre à l'expérience. Heureusement que cet accident n'a point eu de suites funestes et que, parfaitement rétabli aujourd'hui, vous pourrez achever de fixer sur des bases inébranlables la théorie des phénomènes chimiques. Jusqu'à l'époque des découvertes dont vous l'avez enrichie, cette théorie laissait sans doute beaucoup à désirer ; l'analogie entre les terres et les alcalis et les autres oxydes n'était point expliquée. On ignorait par conséquent les lois générales de la composition des sels, et l'oxygène s'offrait comme une substance isolée et sans analogie avec aucun autre corps.
Aujourd'hui toutes les substances simples semblent se partager en deux grandes classes les corps comburants et les corps combustibles. L'existence de deux comburants, l'oxygène et le chlorine, est actuellement mise hors de doute. Le fluorine va s'y joindre, et peut-être en trouvera-t-on bientôt un quatrième dans une substance nouvelle, récemment découverte en France (2), et dont j'ai vu des effets extrêmement singuliers, mais sur laquelle je ne puis encore vous donner aucun détail.
C'est avec un véritable chagrin, Monsieur, que je me suis vu dans la nécessité d'écrire avant de vous avoir consulté à ce sujet, à mon excellent collègue et ami, M. Pictet, ce que vous avez lu sans doute dans la Bibliothèque britannique, au sujet de l'huile détonante. Mais la difficulté des communications ne me permettait pas d'espérer une réponse prochaine et je ne pouvais refuser à M. Dulong un exposé fidèle des faits puisque c'était de sa bouche que je tenais ce que j'eus l'honneur de vous écrire l'année dernière, et que c'était par moi que son travail se trouvait connu en Angleterre avant qu'il l'eût publié.
Rien ne peut être plus flatteur pour moi, Monsieur, que les communications dont vous voulez bien m'honorer, et, si vous vous trouviez dans le cas de citer mon nom comme vous me dites que vous en auriez eu quelque envie si vous aviez eu le temps de me consulter à cet égard, je vous prie d'avance de le faire librement, je tiendrai toujours à l'honneur de voir mon nom associé à ceux des personnes qui admirent le plus les grandes découvertes que vous doit la chimie.
J'éprouve une vive impatience de connaître les expériences et les considérations nouvelles que vous publierez sans doute bientôt sur la nature du fluorine. Je ne connais jusqu'à présent que les motifs suivants qui puissent porter à croire que l'acide fluorique résulte de l'union de l'hydrogène avec un corps particulier analogue à l'oxygène et au chlorine, et qui forme aussi des acides avec le bore et le silicium, de même qu'on voit le chlorine former des acides avec le phosphore, l'étain, l'antimoine, etc., car je ne puis m'empêcher de regarder comme des acides des corps qui forment avec l'ammoniaque de véritables sels. La combinaison du phosphorane et d'ammoniaque que vous avez découverte me semble, par exemple, devoir être considérée comme un sel insoluble et le phosphorane comme un acide.
Le premier de ces motifs est l'impossibilité que j'ai constatée par l'expérience, de décomposer le fluate ou plutôt le fluorite de plomb par le charbon ; car si ce corps était formé d'oxyde de plomb et d'un acide ordinaire, je conçois bien que cet acide pourrait n'être pas décomposé par le charbon, mais je ne conçois pas comment l'oxyde de plomb ne le serait pas. Le second motif est l'état gazeux des combinaisons du fluorine avec le bore et le silicium, et les propriétés qui identifient ces combinaisons avec les autres acides gazeux, sous ce point de vue [...] (3) résultent comme tous les acides [...] ou d'un corps combustible et d'un corps comburant, tandis que, dans l'ancienne hypothèse, il faudrait supposer, contre toute analogie, ou que l'acide borique aurait assez d'affinité avec un autre acide pour devenir gazeux en se combinant avec lui, et que la même chose aurait lieu pour la silice, qui devrait plutôt former, dans cette hypothèse, un sel avec l'acide fluorique.
Le troisième motif me semble encore plus convaincant. L'ammoniaque et l'acide fluoborique, tous deux à l'état de gaz et bien secs, forment un sel qu'on est obligé de considérer dans l'ancienne hypothèse comme un mélange de fluate et de borate d'ammoniaque, le premier de ces sels étant volatil et le second se décomposant au feu en acide borique et en gaz ammoniac. Tels seraient les produits qu'on devrait obtenir en distillant le fluoborate d'ammoniaque sec. C'est ce qui n'arrive pas. On n'obtient ces produits que quand on y a joint de l'eau, dont l'oxygène convertit [...] en acide borique, et dont l'hydrogène forme avec le fluorine de l'acide fluorique qui se sublime en fluate d'ammoniaque.
J'ajouterai à ces motifs la réflexion suivante : dans l'état actuel des choses et sans adopter aucune hypothèse, on doit, pour énoncer simplement les faits, dire que l'acide fluorique, mis en contact avec le fer, laisse échapper de l'hydrogène et de la substance qui reste unie au fer dans le résultat de l'opération. Tant que cette substance n'aura pas été décomposée, il faudra bien la regarder comme simple et lui donner un nom tel que celui de fluorine ; sans quoi on ne saurait où s'arrêter dans la formation des suppositions arbitraires que les chimistes modernes prétendaient avoir bannies de la science, quoiqu'il en restât encore beaucoup dans les théories les plus répandues avant les vôtres.
Je ne sais, Monsieur, ce que vous penserez d'une idée qui me reste à vous communiquer. Si l'on parvenait à prouver que, l'oxygène n'étant pas le seul générateur des acides, on doit comprendre sous cette dernière dénomination tous les composés formés d'un corps comburant et d'un corps combustible, où le corps comburant domine assez pour qu'ils forment des sels avec l'ammoniaque et, en général, avec toutes les bases salifiables qu'ils ne décomposent pas, ne deviendrait-il pas nécessaire de désigner ces acides par des noms où le corps comburant se trouvât nommé, par exemple, avant le corps combustible ? De sorte que les acides que nous nommons simplement sulfurique, carbonique, phosphorique, sulfureux, phosphoreux, etc., prendraient les noms suivants : oxysulfurique, oxycarbonique, etc., oxysulfureux, etc. ; ceux où entre le chlorine seraient les acides chlorophosphorique, chlorohydrique, etc., et ceux qui doivent au fluorine leurs propriétés acides prennent les noms de fluorhydrique, fluoborique, fluosilicique ; et les deux combinaisons de chlorine et de phosphore que vous avez déterminées, si elles forment également des sels avec l'ammoniaque, se nommeraient, l'une acide chlorophosphorique, l'autre acide chlorophosphoreux et les sels seraient désignés par les mots chlorophosphate et chlorophoplite d'ammoniaque. Cette extension de la nomenclature ordinaire me paraît le moyen le plus simple et commode de former régulièrement les noms dont on aura besoin pour désigner tous les sels que l'on ne peut manquer de découvrir en tentant ces diverses combinaisons.
L'ami auquel j'ai dû l'honneur de votre correspondance n'étant pas à Paris dans ce moment, je n'ai pu lui faire part de votre lettre. Dès qu'il sera de retour, je m'empresserai de lui communiquer ce que vous me dites d'obligeant pour lui.
J'ai l'honneur d'être avec respect et cordialité (4).



(1) Cette lettre répond à celle de Davy du 6 mars. Ampère, dans une lettre à Bredin du 28
juin 1813 (251), dit qu'il a mis quinze jours à l'écrire et qu'il l'a recommencée plusieurs
fois.
(2) L'iode découvert en 1811 par Courtois et aussitôt étudié par Gay-Lussac. A la fin de
1813, Davy vint eu France et Ampère lui donna de l'iode.
(3) Le brouillon autographe d'Ampère présente des lacunes et des ratures.
(4) Un autre brouillon de cette lettre, qui a été plusieurs fois recommencée, diffère
surtout par le début :
Monsieur, j'ai mille remerciements à vous faire du mémoire que vous avez eu la bonté de
m'envoyer et de la lettre dont il était accompagné. M. Vauquelin m'a remis l'un et l'autre il
y a peu de jours. Rien ne peut être plus flatteur pour moi que de me voir honoré de ces
témoignages d'intérêt et de confiance par celui qui a achevé l'édifice de la chimie
moderne, encore imparfaite après les travaux de Cavendish, de Lavoisier, et de leurs plus
illustres disciples. La découverte qui a fait rentrer les terres et les alcalis dans la classe
des oxydes ne laissait plus à désirer que la substitution d'une théorie résultant
immédiatement des faits à l'explication hypothétique et si peu d'accord avec une partie des
phénomènes que présente l'acide muriatique dans ses différents états dont on se servait
encore il y a si peu de temps pour rendre raison de ces phénomènes. C'est aussi à vous,
Monsieur, que la chimie est redevable de cette théorie et, quelque opposition qu'elle ait
d'abord éprouvée, on ne saurait douter qu'elle ne finisse par être universellement admise.
J'eus un vrai chagrin de me trouver dans la nécessité d'écrire à M. Pictet ce que vous
avez vu dans la Bibliothèque britannique avant de vous en faire part ; mais la difficulté des
communications ne me permettait pas d'espérer une réponse prochaine et je ne pouvais refuser
un exposé fidèle des faits à M. Dulong qui m'avait confié ce que j'eus l'honneur de vous
écrire l'année dernière avant de l'avoir publié. Il en avait à la vérité parlé à
plusieurs membres de l'Institut et à d'autres chimistes ; mais c'était par moi seul que cela
s'était su en Angleterre ; c'était moi qu'il avait le droit d'accuser d'une sorte
d'indiscrétion. Au reste, je n'avais nul motif de craindre que vous ne me nommiez comme
l'auteur de cette communication ; rien ne pourrait, au contraire, Monsieur, être plus
honorable pour moi que de voir mon nom cité, à quelque occasion que ce soit...


Correspondance du Grand Ampère, tome II, p. 444-445-446
  Source de l'édition électronique de la lettre :
DE LAUNAY (Louis). Correspondance du Grand Ampère. tome II. Paris : Gauthier-Villars, 1936. p. 444-445-446


  Autre source de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton IX, chemise 182
 Plusieurs projets de début de cette lettre sont conservés aux Archives de l'Académie des sciences ; ils sont signalés ici comme folios 9 à 11 et folio 12.

Voir le fac-similé :   
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr450.html

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