Ampère, André-Marie à Roux-Bordier, Jacques
(1)
à M. Roux-Bordier l'aîné, à Genève, Léman
[1811?] Combien vous devez m'en vouloir, mon cher ami. Je ne sais comment me justifier qu'en vous
expliquant pourquoi je ne vous ai pas répondu plus tôt. D'abord, votre
première lettre ne m'a pas été remise. Pour que les lettres m'arrivent
sans retard, il vaut mieux adresser à M. Ampère, Ins. gén. de l'Un., cour
du Commerce, n° 19, près la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés.
Sachant par la seconde lettre qu'il y en avait une autre, il s'est passé plusieurs jours
pendant que je cherchais à l'avoir, plusieurs avant de la retrouver, plusieurs à
vouloir prendre des informations sur ce dont vous me parliez dans cette lettre. Alors est venu
ce moment où je n'ai plus eu le temps de manger ni de dormir. Enfin, cette lettre est
commencée depuis trois jours et Dieu sait quand je la finirai, car voici quelqu'un qui
vient me parler et je ne puis écrire devant lui. J'ai encore pris, mon cher ami,
divers renseignements sur les diverses questions que vous me proposiez dans votre
première lettre. Mais tout ce que j'apprends, tout ce que je vois à ce sujet
n'est nullement favorable à votre projet. D'abord, pas de places vacantes ; le minimum
du nombre étant passé depuis longtemps et le maximum presque atteint, on pense
assez généralement qu'il n'y en a que trop. Secondement, autant il était
facile d'obtenir ces places lors de la formation du corps, autant il est difficile d'y parvenir
aujourd'hui. Tous les motifs dont vous me parlez sont de ceux dont on parle beaucoup, mais
d'après lesquels malheureusement on ne prend point de déterminations. La
circonstance que vous prétendez devoir me faire désirer le succès de cette
affaire, est un tel épouvantail pour tant de personnes que cette seule raison le rend
à peu près impossible. Si elle n'a pas été un obstacle pour le
savant aussi respectable qu'éclairé qui vous a parlé de notre petit
déjeuner, c'est qu'à cette époque on était bien plus accommodant.
En un mot, je ne vois dans le projet en question que des difficultés, à moins
qu'un prince ou un grand dignitaire de l'Empire ne prenne à votre ami un assez grand
intérêt et ne le recommande assez fortement pour lever tous les obstacles.
M. Maine-Biran [Maine de Biran] est toujours dans sa sous-préfecture, où il
restera jusqu'à l'ouverture du corps législatif. Il a envoyé au concours
un Mémoire sur le sujet proposé par l'Académie de Copenhague :
L'influence mutuelle des connaissances physiologiques et psychologiques (2). Il n'a
point vu mon tableau dans son ensemble ; mais je lui en ai parlé à son dernier
voyage et nous avons discuté, tant alors que par lettres, les bases sur lesquelles il
repose. J'attends son retour pour le lui montrer en entier et lui en expliquer toutes les
parties. Vous me ferez un bien grand plaisir, mon cher ami, en m'envoyant vos observations sur
ce sujet. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse de tout mon cœur. Tout
à vous. A. AMPÈRE
(1) Quatre pages in-4°, 20 x 25, adresse au bas de la quatrième. Communiqué par M. Paul
Chaponnière. Ampère a habité Cour du Commerce de 1811 à 1818.
(2) Maine de Biran a été à la fois député et sous-préfet de Bergerac de septembre 1810
à 1814. Le concours en question date la lettre de 1811.
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