Carron-Ampère, Julie (1ère femme d'Ampère) à Ampère, André-Marie
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Vendredi [8 avril 1803] Mon bon ami, j'ai reçu ta lettre mardi. Je suis bien aise que, de plus en plus, tu
espères ta nomination. Mais, comme je te l'ai dit bien souvent, je ne le croirai que
lorsque je le verrai. Cela fait que je pense comme toi qu'il est essentiel de garder encore
notre appartement. Tu me dis, mon bon ami, que tu te disposes à faire ce que
j'espère de toi. Si mes prières sont exaucées, cela te fera autant de
plaisir que j'en éprouverai moi-même à te retrouver ce que je t'ai toujours
cru. Tu as peur, me dis-tu, que je ne doute de ta tendresse. Quoique le reste soit bien plus
sacré, j'ai un sentiment intérieur dont je ne puis me défaire qui m'assure
que ta Julie te sera toujours chère, que rien ne pourra jamais te faire oublier les
moments que tu regardais comme le comble de la félicité. Je parle de ceux
où, réunis par la confiance, nous lisions dans le coeur l'un de l'autre aussi
bien que dans le nôtre. Oui, mon ami, c'est là les courts instants de mon bonheur.
Je les partageais avec toi et je les sentais peut-être plus délicieusement.
Pourquoi crois-tu qu'ils ne reviendront pas ? Il est vrai que les discussions sur
différents sujets, la difficulté de te persuader ce que je pense, tout cela fait
passer le temps, absorbe l'esprit et empêche les communications intimes. Mais, mon bon
ami, nous ne serons pas toujours, je l'espère, dans une position si agitée ; ton
esprit le sera moins aussi ; tu deviendras raisonnable solidement en prenant des années
et en voyant grandir ton fils à qui tu devras l'exemple et qui te demandera compte de
tes opinions. Pour les lui expliquer clairement, il faudra en être persuadé
toi-même. Je vois tout cela dans l'avenir, je me vois paisible au milieu de vous deux que
je regarde comme mes fils. Car les maux m'ont vieillie et m'ont laissé le temps de faire
des réflexions qui ont mûri ma raison. Ainsi, quoique nos âges se
rapprochent, crois, mon ami, que ta femme a dix ans de plus que toi ! Cela peut être pris
dans tous les sens ; car la fraîcheur, l'activité, la gaîté, la
grâce de la jeunesse, tout est disparu. Mon coeur est le même. Il t'aimera toujours
et cela te suffit, n'est-ce pas, mon bon ami ? Je t'embrasse à cette pensée et tu
me réponds de même. Je sens que nous sommes d'accord. Je te dirai pour
nouvelle que le petit est très bien. Il n'a point de rougeole, mais elle est partout.
Pour moi, je fus hier à notre paroisse : c'est-à-dire à l'église
où nous fûmes paraître devant la municipalité. Je n'y avais pas
été depuis et cela me rappela bien des choses en me faisant songer à toi
et demander à Dieu que nous fussions toujours unis comme nous l'avons été
depuis ce moment. Adieu, mon bon ami, adieu ; je t'embrasse de tout mon coeur, Dis-moi si
tu écris tes nouvelles découvertes.
(1) Quatre pages dont la fin manque. Réponse à la Lettre 0237. Mme Cheuvreux en a publié une
grande partie, p. 286.
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