Ampère, André-Marie à Carron, Elise (sœur de Julie)
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A Mademoiselle Élize Carron, chez Madame Carron, rue du Griffon, vis-à-vis la rue Terraille à Lyon.
Bourg,
Dimanche 13 février [1803] Ma chère soeur, je profite du seul jour où j'ai du temps à moi dans la
semaine pour t'écrire. Tu sais qu'il y a bien longtemps que j'espère toujours
avoir un moment pour cela et que je suis trompé dans mon attente. A peine ai-je le temps
d'écrire à Julie. Si tu connaissais quelqu'un à Bourg, je t'en donnerais
des nouvelles que tu pourrais lire avec quelque intérêt. Si tu y avais une ou deux
bonnes amies, je t'écrirais qu'elles se marient, car c'est dans ce moment la grande
occupation des demoiselles de Bourg. Quant au reste des habitants de cette ville, il
paraît que ce carnaval est bien moins animé que le précédent.
L'année passée ce n'était que bals ; celle-ci on les compte. Mais, pour se
consoler, on se martine. La martinoire est toujours pleine de gens qui ne se donnent pas le
temps de manger pour se livrer à cet amusement dont je n'ai pas tâté, mais
dont la continuelle monotonie ne peut guère enchanter que des Bressans. Ici c'est une
fureur ; et, quand on s'est martiné depuis le lever du soleil jusqu'à son
coucher, on allume des chandelles, des lampions, etc., tout le long de la rue qui descend des
prisons à la Grenette et l'on continue de se martiner, si bien qu'on dit que
jusqu'à deux heures du matin la rue est illuminée et pleine de martineurs. Il
faut avouer que voilà bien du papier perdu pour une chose qui n'en valait guère
la peine ; mais un voyageur doit faire un fidèle récit des moeurs et usages des
régions qu'il parcourt. Or, l'usage des martinets est le caractère propre du
peuple de Bourg, le reste y va comme à Lyon et à Paris, et tout cela est su
d'avance par quiconque a une légère connaissance des légers
Français, au lieu que la martinoire est une chose dont on ne se douterait pas si l'on ne
voyait le plaisir qu'y trouve une foule de badauds et le profit des jambes et des bras qui en
revient aux chirurgiens. Je me sens gai aujourd'hui de ce que Julie m'a écrit la plus
jolie lettre que l'on puisse imaginer, de ce qu'elle me dit que tous vos rhumes dont j'ai
été bien longtemps bien en peine vont mieux et de ce que j'ai fait ce matin le
compte de mon exil qui ne doit plus durer que 36 jours. J'espère que ces malheureux
rhumes seront bientôt tout à fait dissipés et que cette bonne nouvelle se
trouvera dans la lettre que je recevrai ce soir de Julie. J'avais laissé là
ma lettre pour aller voir si Pochon était arrivé ; il l'était en effet
depuis un moment et m'a remis la lettre de Julie. J'y ai vu que tu te portais mieux et le petit
aussi, mais qu'elle était toujours bien fatiguée, surtout à cause du
froid. Je ne sais pas quand le temps se radoucira. Je vais répondre à Julie et je
mettrai cette lettre dans la sienne. Si du moins elle pouvait vous trouver toutes en bonne
santé ! Je vois en relisant la lettre de Julie qu'elle reste couchée la plus
grande partie du temps ; elle fait bien, ce froid seul serait une raison suffisante de le faire
; mais cela me fait craindre qu'elle ne soit plus fatiguée qu'elle ne me le dit. C'est
sur toi que je compte, ma bonne soeur, pour me dire toute la vérité, si elle
devenait plus malade. Je t'embrasse mille fois de tout mon coeur. Ton
frère A. AMPÈRE
(1) Coll. Bodin. Quatre pages 17,5 x 23, adresse sur la quatrième.
En 1802, Ampère n'est arrivé à Bourg que le 18 février, bien qu'il parle des masques dans
la Lettre 0082. D'ailleurs, le dimanche 23 février correspond bien à 1803.
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