Carron, Elise (sœur de Julie) à Ampère, André-Marie
(1)
[Lundi 16 août 1802] Je viens remplir ma promesse, mon bon Ampère, de te donner tous les détails
que tu souhaites. Tu sauras que, ce matin, Julie avait bien envie de t'appeler pour te dire
adieu, car elle a entendu sonner 4 heures ; mais elle a réfléchi que, si les
adieux étaient de quelques minutes trop longs, tu manquerais peut-être la
diligence et que cette petite causerie lui empêcherait de fermer l'œil le reste de
la nuit [...] Elle n'était point mal ce matin ; mais le ventre est toujours le
même. Absente ou présente, je le vois sans cesse ; c'est un objet terrible pour
moi [...] Mon dieu, quel bonheur si, parmi toutes les plantes dont tu connais les
propriétés, il en était une, une seule qui puisse remettre tout cela dans
l'ordre de la nature ! A quoi bon la science s'il n'en est point qui puisse rendre promptement
la santé à notre Julie ! Cherche bien, informe-toi, parle de son mal aux savants
et aux ignorants ! Dieu n'a pas distribué aux savants des lumières pour leur
conservation et les simples ont souvent des remèdes comme eux. [...] Je reprends
ce soir. M. Petetin est revenu ; toujours il ordonne rien ou des riens. Je l'ai encore
poursuivi sur l'escalier pour lui dire s'il ne croyait pas qu'elle fût maintenant assez
forte pour prendre des bains. Il m'a dit qu'il y pensait, mais qu'il craignait un trop grand et
trop prompt relâchement. Tu frappes du pied, j'en suis sûre ; c'est ce qu'il m'est
arrivé de faire en le quittant [...] Mais où en prendre un qui la traite mieux ?
Où est-il ? Que ne donnerais-je pas pour le savoir ? [...] Ah, pourquoi ai-je
poussé le sacrifice de moi-même jusqu'à conseiller à ma Julie un
état dans lequel elle n'a trouvé que la ruine de sa santé ! Je m'admirais
alors en répandant des larmes ; elles étaient pour moi le triomphe de la raison
et c'était le sentiment seul qu'il fallait écouter et le laisser lui dire que,
sans elle, sans sa tendresse exclusive, je ne pourrais vivre ; car alors j'étais bien
loin de penser que sa chère santé pût s'altérer [...] Mais j'oublie
que c'est à son mari et à celui qui l'aime autant que moi à qui je dis des
choses désolantes pour son coeur sensible. Mon pauvre Ampère, oh le mien souffre
bien aussi. Depuis trois ans, il est si agité, il a si peu d'occasions de
s'épancher. Ce n'est plus à Julie que je puis conter mes peines. Je n'ai plus
personne. Il faut lui montrer un visage serein ; il le faut. Je n'ai que la nuit à
passer sans contrainte [...] Tout dort, point de bruit et j'ai des idées si tristes
qu'elles poussent ma plume malgré moi [...] Brûle mes lettres et surtout celle-ci
qu'elle ne risque pas de tomber sous les yeux de Julie ! Ce mardi soir [17
août] – L'après-midi s'est passée comme celle d'hier. Quelques
personnes sont venues qui l'ont un peu distraite. Elle aurait tant besoin de l'être. Son
état est si triste, si pénible que je trouve admirable qu'avec tant de
vivacité, un caractère si actif, elle puisse y tenir sans se désoler du
matin au soir ; mais la pauvre petite a tant de fermeté qu'elle nous cache souvent ses
larmes... Ce mercredi soir [18 août] – La pluie est enfin venue.
Puisse cette fraîcheur lui être salutaire et Dieu veuille que tous ceux qui lui
répétaient sans cesse : « Ce temps-ci est vraiment bien contraire à
votre situation ; ce temps est terrible pour les personnes malades ! » pourvu, dis-je,
que tout ce monde n'enfile pas une litanie sur la pluie comme il faisait tous les jours sur le
beau temps et que notre pauvre Julie ne soit pas dans le cas d'éprouver que les jours
froids ou chauds ne changent rien à sa situation ! [...] Ce jeudi matin [19
août] – Cette nuit n'a pas été aussi bonne que je l'espérais.
Elle a dit qu'elle avait ressenti un peu de fièvre. Je viens de lui lire ta lettre. Ton
petit joue en ce moment sur le lit de sa mère.
(1) Sept pages écrites et adresse sur la huitième.
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