Ampère, André-Marie à Carron-Ampère, Julie (1ère femme d'Ampère)
(1)
A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, n° 18, dans la grande rue Mercière ou, en son absence, aux frères Périsse, libraires, même rue, n° 15, à Lyon.
Dimanche soir [25 juillet 1802] J’ai tant de nouvelles à te raconter, ma bonne amie, que je ne sais par
où commencer et tant d'occupations pressées que je ne puis t'écrire
qu'à la dérobée. Je fus hier dîner chez Mme Beauregard avec des
mains noircies par une drogue qui ne fait point de mal, mais qui s'attache aux mains pour deux
ou trois jours. Elle prétendit que cela semblait un jus de fumier et finit par se lever
de table, en disant qu'elle dînerait quand je serais loin. Je convins avec elle que
j'étais à tiers de mois et que je n'y retournerais que quand mes mains seraient
blanches. Je n'y retournerai donc plus. La Perrin me fait dîner pour 18 livres par mois,
sans le vin. M. de Lalande est allé à la Société d'émulation
qui a eu une séance aujourd'hui. M. Riboud y a présenté la copie que son
fils avait faite de mon ouvrage sur le jeu ; j'ai été nommé membre de cette société
à l'unanimité (2) et M. de Lalande, qui en est aussi, a été
nommé d'une commission pour examiner mon mémoire ; c'est lui qui fera un rapport
à ce sujet. Je te raconterais d'autres nouvelles si j'avais le temps ; mais elles ne
t'intéresseraient guère. Telle serait celle du mariage de Mlle de Bohan avec M.
Bachet, etc. Au lieu de cela, je vais chez Pochon, où je trouverai peut-être une
lettre de toi. Du lundi [26 juillet] – Tandis que je fus hier chez Pochon,
on m'apporta ta lettre au collège (3). Mme Mermet la reçut et me l'a remise. Que
j'ai trouvé dans cette lettre des sujets de chagrin ! Pauvre Julie ! Encore cette
malheureuse colique, et ton voyage à Charbonnières suspendu ! J'espère que
cela n'aura point eu de suite, que tu es à Charbonnières à présent.
Mais que je voudrais le savoir au juste Que je voudrais recevoir une lettre de ma
bienfaitrice ! Ah, une lettre, une lettre ! Quand en aurai-je une ? Peut-être jeudi, mais
c'est bien long d'ici à jeudi si tu vas aux eaux ! Quelle inquiétude si tu n'y
vas pas ! Tu y aurais retrouvé la santé, ma... Je n'ai point trouvé
M. de Lalande, on m'a dit que je le trouverais demain à 10 heures et cette lettre sera
partie ; quoique mon ouvrage soit fini, je ne l'enverrai que mercredi prochain. Je veux savoir
l'avis de M. de Lalande ; peut-être me fera-t-il des observations qui
nécessiteront quelques changements, et ce n'est pas huit jours de plus ou de moins qui
feront quelque chose pour la publication de mon livre. Car M. de Lalande a dit à M.
Clerc que les examinateurs ne feraient pas leurs tournées sitôt qu'on le pensait
ici, qu'il y avait apparence que les premiers lycées établis ne le seraient pas
avant la fin de l'année prochaine. Je ne crois pas pouvoir écrire à
Marsil, parce que M. Clerc vient demain travailler de bon matin avec moi aux séries.
Dis-lui tout ce que je lui écrirais si j'en avais le temps. Mille remerciements à
ton cousin l'aîné de ce qu'il m'a envoyé ; c'est un prix de 60 000 francs
proposé par Bonaparte et que je tâcherai de gagner quand j'en aurai le temps (4).
C'est précisément le sujet que je traitais dans l'ouvrage sur la physique que
j'ai commencé d'imprimer ; mais il faut le perfectionner et confirmer ma théorie
par de nouvelles expériences. Mille choses pour moi à ta maman, à
Élise, vingt baisers au petit, et tout mon être à toi ! Oh, mon amie, ma
bonne amie, si M. de Lalande me fait nommer au lycée de Lyon et que je gagne le prix de
60 000 francs, je serai bien content ; car tu ne manqueras plus de rien et tu n'en seras pas
à regretter les 10 francs de la chambre arrhée à Charbonnières.
Vas-y, vas-y à Charbonnières ; je ne sais quoi me dit que tu y retrouveras ta
santé. Je t'embrasse ; tout ce que j'aime, tout ce qui fait mon bonheur, c'est toi. A. AMPÈRE
(1) Lettre où il paraît manquer un feuillet. Mme Cheuvreux en a publié quelques lignes pages
241 et le paragraphe sur le prix, page 239.
(2) L'acte de nomination à la société d'émulation est du 26 juillet. Il est adressé à M.
Ampère, professeur de physique, émule de l'Athénée de Lyon et signé Thomas Riboud.
(3) Lettre p.179-180.
(4) Voir la reproduction de cette lettre, pl. IX.
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