Ampère, André-Marie à Carron-Ampère, Julie (1ère femme d'Ampère)
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A Monsieur Richard, chez les frères Périsse, libraires, grande rue Mercière, n° 15, pour remettre s'il lui plaît à Mme Ampère-Carron, à Lyon.
Vendredi [18 juin 1802] Je suis bien surpris, ma bonne amie, que tu n'eusses pas encore reçu mardi la lettre
que j'ai mise dimanche de très bonne heure à la poste et qui t'est sans doute
parvenue depuis. Tu y auras vu que M. Clerc n'a plus la fièvre ; il y a six jours
aujourd'hui qu'elle est passée à force de quina. Il donna leçon mardi,
mais il en fut un peu fatigué. Je le remplaçai encore mercredi parce que la
vacance ordinaire de ce jour était renvoyée à hier. Aujourd'hui j'avais
été ouvrir la classe pour la donner ; il est venu et, tandis qu'il s'occupe de
figures et de calculs, j'écris à ma Julie. Je voudrais qu'elle fût
rassurée sur ma santé ; jamais mon corps ne s'est mieux porté, mais mon
coeur est bien malade d'être depuis si longtemps loin de toi ! Voilà la
Saint-Jean, j'espérais t'aller voir ! Mais comment demander à M. Clerc de me
remplacer avant qu'il ait repris toutes ses forces ? D'ailleurs, les jours de fêtes
étant remplacés par les mercredis, elles ne nous donnent pas plus de
liberté les semaines où elles se trouvent et je ne puis pas me servir de cette
raison pour lui demander tout de suite de me remplacer. Ce sera pour dans quelque temps et, je
prévois, pour la dernière fois jusqu'aux vacances ; elles me rendront ma
liberté vers le 20 août. Mais il faudra que je revienne passer deux ou trois jours
ici avant le commencement de septembre, s'il y a des prix distribués à mes
élèves ! Je crois que cette distribution a lieu le 2 ou 3 septembre. (Je me
munirai de vinaigre ; mais le sirop me semble une dépense inutile.) Du
samedi [19 juin 1802] – Je t'avais écrit que j'avais un nouvel élève
Goiffon, Un autre depuis hier à 18 L. sans marchander, c'est Ailhaud, le premier
élève de M. Clerc, celui qui se destine à l'École Polytechnique. Je
sens bien que cela va fâcher M. Clerc et je l'aurais refusé si j'avais su quelle
raison lui donner et s'il ne m'était pas si important d'avoir des élèves.
Au reste, il ira chez M. Clerc quand j'irai à Lyon aux vacances ; il m'a assuré
qu'il n'y avait jamais pris de leçons particulières ; il continuera de suivre le
cours ; en un mot, M. Clerc n'y perd que la gloire d'avoir seul concouru à le former. C'est un grand bonheur que j'aie rapporté mon ouvrage de Lyon pour changer le
commencement. Chaque jour, j'ai fait quelques découvertes sur le même sujet ; je
l'ai changé deux fois de forme et récrit chaque fois presque entier. Ce sera, tel
qu'il est à présent, un ouvrage infiniment supérieur à ce que
j'avais d'abord fait ; je l'achèverai demain et tu le recevras jeudi par Pochon.
J'oubliais de te dire, ma bonne amie, que j'ai enfin été voir l'église de
Brou ; c'est mercredi soir à 6 h. 1/2. Je veux en écrire une belle description
pour ma soeur Élise. Je me ressouviens qu'elle aime Hervey et Young ; je veux lui faire
une belle lettre tragique, mélancolique et sépulcrale, quoiqu'au fond cette
église, très belle à la vérité, n'ait point
complètement répondu à mon attente. Tu en verras la description ; mais il
faut auparavant finir mon manuscrit. Si, au lieu d'une description, tu avais pu venir avec moi
à Brou ! En sortant, nous aurions été nous promener au clair de lune dans
les jolis sentiers d'un petit village qui est vis-à-vis, à deux cents pas du
collège. C'est un des grands agréments de Bourg, ou plutôt le seul, que les
plus jolies promenades touchent la ville. Je voudrais que tu pusses t'y promener un seul jour,
pour y laisser des souvenirs que j'irais rechercher tous les jours. Adieu, ma bonne amie, tu
m'as écrit que le petit m'avait écrit des barres. Pourquoi ne me les as-tu pas
envoyées ! Tous deux baisés.
(1) Six pages 19 x 22, adresse à la fin. Mme Cheuvreux a publié deux passages, p. 230.
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