@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L1155

Présentation de la Correspondance

Ampère, André-Marie      à      Maine de Biran, Pierre


Paris, 3 mai 1815

Mon bien cher ami, j'ai mille remerciements à vous faire de votre dernière lettre, j'avais besoin de savoir de vos nouvelles, malheu­reusement elle m'a surtout appris les chagrins et les angoisses que le triste état de la santé de personnes qui vous sont bien chères, joint aux autres sujets de peine. Du moins vous êtes rassuré à l'égard de Monsieur votre fils. J'espère que l'indisposition de Madame Biran n'aura pas de suite, et que vous pourrez enfin jouir de quelques moments de calme, ils seront encore troublés par assez d'autres chagrins. Je suis presque incapable de travailler à quoi que ce soit, cependant je vais essayer de répondre autant que cela me sera possible dans ce moment, aux questions psychologiques que vous me faites.

Le principe d'où je suis parti est de la dernière évidence : les êtres hors de nous ne peuvent se manifester à nous que comme des causes, soit comme des causes de phénomènes tels que les sensations et les intuitions, soit comme des causes prohibitives, s'opposant à un exercice de notre volonté, prévu et déterminé d'avance.

Ce n'est que dans ce dernier cas que peut naître la notion de la matière. La matière, c'est l'agrégation des causes qui arrêtent nos mouve­ments volontaires. Il est clair que sa propriété caractéristique, l'impé­nétrabilité, ne peut être conçue que quand on a déjà l'étendue, que l'on sait y produire des mouvements, et que ces mouvements sont arrêtés dans telles et telles portions de cette étendue et non dans les autres. Car c'est précisément la propriété de faire obstacle à un tel mouvement que nous nommons impénétrabilité. Or tout ce qui est hors de nous n'étant connu que comme des causes, reste complètement inconnu dans sa nature, mais on en peut connaître les rapports :

1°. Avec les phénomènes ou bien l'impossibilité de passer au travers, ce rapport est celui de causalité dont nous n'avons la notion que parce que nous l'avons primitivement perçue entre deux phéno­mènes, savoir : l'émesthèse et la sensation musculaire.

2°. Avec d'autres causes. Ce sont là les rapports mutuels des nou­mènes ou causes, que nous pouvons connaître mais seulement quand nous en avons acquis la notion en percevant ces rapports entre des phénomènes. Car les phénomènes étant seuls perçus immédiatement et les noumènes ne se manifestant à nous que par les phénomènes qu'ils produisent, il est clair qu'on ne peut comparer que des phénomènes, et percevoir primitivement des rapports qu'entre des phénomènes. Toutes les qualités premières que nous savons exister réellement dans les corps ne sont donc que des rapports entre les noumènes résistants dont chaque corps est conçu renfermer un nombre indéfini, et ces rapports sont de telle nature qu'il y a nécessairement des phénomènes entre lesquels ils existent aussi, et où nous les avons primitivement perçus pour en acquérir la notion. En examinant a posteriori toutes les qualités premières des corps, on trouve en effet qu'elles ne sont que cela.

C'est là le principe fondamental de toute psychologie où l'on peut être conséquent sans admettre l'idéalisme à la manière de Kant. Car si l'on pouvait connaître autrement une qualité première des corps, il faudrait qu'à la sensation produite par ce corps, se joignît une perce­ption immédiate de cette qualité ; dès lors autant vaut se borner à la théorie de Reid telle qu'elle est. Il ne sert de rien de modifier cette théorie, pour y laisser une perception immédiate des qualités des corps, qui accompagne la sensation, car alors, si l'on est conséquent, on reconnaît bientôt que cette loi de notre esprit qui fait que nous joignons l'idée de cette qualité à celle du corps qui produit la sensation, est une forme subjective, une loi ou catégorie de notre entendement, et il est impossible d'échapper aux conséquences que Kant a tirées de ce point de vue.

Si vous me demandez maintenant d'où vient l'inhérence des couleurs, par exemple, avec les corps, tandis qu'il n'y a point entre eux et les sensations, qui ne nous sont point données comme les intuitions sous la forme d'étendue phénoménale, je vous montrerai aisément que cette inhérence pour les intuitions seulement, est une suite nécessaire de ma manière de voir en psychologie, et je vous prierai d'accorder à ce qui suit un nouveau degré d'attention. Tant qu'il n'y a pas eu de véritable résistance, c'est-à-dire d'ob­stacle à un mouvement projeté et prédéterminé, qu'on a déjà produit ailleurs sans rencontrer d'obstacle, la seule différence qui puisse exister entre les sensations et les intuitions est la forme d'étendue ou de composition par juxtaposition continue, propre aux intuitions ; en sorte que les sensations sont à cet égard des phénomènes simples, isolés, et les intuitions des phénomènes complexes, décomposables indéfiniment en intuitions partielles de plus en plus petites. Du reste tout est égal, les sensations provenant de mouvements excités dans différents points de l'organe nerveux sont hors les unes hors des autres, comme le sont les intuitions, et les parties d'intuitions.

Les unes et les autres sont également hors du moi, d'une exté­riorité phénoménale, et pour la même raison. Lorsque l'excitation vient à cesser, les intuitions disparaissent comme les sensations, il n'en peut de même rester que des images, et quand ces images elles-mêmes cessent d'être présentes, il n'en reste rien du tout. Mais quand il y a eu résistance, en donnant à ce mot le sens, plus restreint que le vôtre dans lequel je m'en sers, tout change. La résistance comme je la consi­dère ne peut avoir lieu que quand on meut à volonté une intuition dans un ensemble d'intuitions fixes. Tant qu'on n'est arrêté que dans un point, il n'y a qu'une cause résistante inétendue, qui n'en est pas moins localisée sous ce point de l'étendue phénoménale, de l'étendue colorée par exemple. Sorte de localisation que je nomme, comme vous savez, substration. Si on est arrêté à d'autres points disjoints et séparés, il y a d'autres substrations de causes prohibitives, qui empruntent leur relation de juxtaposition continue de celle des parties correspon­dantes de l'intuition. Cette suite de causes résistantes que je nomme configuration constitue la connaissance que nous avons d'un corps, et comme une cause est toujours conçue, à l'imitation de l'émesthèse qui en est le type primitif unique, comme existante, avant, pendant et après l'effet produit, les intuitions ont beau disparaître, on sait que cette suite de causes résistantes qu'on retrouve à volonté, soit [la fin manque].



  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Archives de l'Académie des sciences, carton 15, chemise 261


  Autre source de la lettre :
MAINE DE BIRAN, Pierre. Oeuvres, XIII-1 : Correspondance philosophique avec Ampère. sous la dir. de ROBINET, André. Paris : J. Vrin, 1993. p. 409-411


  Autre source de la lettre : copie
Archives de l'Académie des sciences, carton 15 chemise 261 [copie partielle, selon note A. Robinet]


Voir le fac-similé :
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr1155.html

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