Ampère, André-Marie à Carron-Ampère, Julie (1ère femme d'Ampère)
(1)
A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, no 18, rue Mercière, à Lyon.
Dimanche [25 avril 1802] Il y a bien longtemps, ma bonne amie, que je ne t'ai pas écrit. J'ai travaillé
à mon livre et aux mathématiques. Car tu sauras que les professeurs des
lycées ne seront nommés, ni à Paris, ni par les jurys, mais par trois
commissaires et trois membres de l'Institut qui parcourront les provinces et, si je veux me
présenter pour les mathématiques, il faudra que je subisse un examen sur les
hautes parties des mathématiques dont je ne me suis pas occupé depuis cinq ans.
M. Clerc travaille déjà pour s'y préparer et je n'ai plus de ressources
que celles que je puis tirer de moi-même. C'est pourquoi je me suis décidé
à ce que tu sépares mes papiers de mathématiques dont tu feras un paquet
que tu rangeras bien ; ils me seraient inutiles parce qu'on ne m'interrogera pas sur mes
idées, mais sur mes études. Tu m'enverras tous les livres de mathématiques
qui se trouvent avec eux chez MM. Périsse. Mais tu garderas l'astronomie de Lalande dont je n'ai pas besoin. Je ne crois pas, d'après ces
dispositions, que M. Roux conserve la chaire de mathématiques ; on lui donnera
probablement une autre place dans le lycée de Lyon. J'ai bien d'autres nouvelles
à te donner. Je donnerai demain une leçon à un élève de
mathématiques ; il s'appelle Gripière ; il me donnera 18 L. par mois tant qu'il
sera seul ; mais je lui ai promis de diminuer s'il trouve un compagnon ; sans cela, point
d'affaires ! M. Clerc ne prend que 9 à 12 francs par mois, et il a la vogue.
Gripière n'est venu me trouver qu'à son refus. Mme Beauregard veut à
l'avenir 50 L. de pension, pas à moins ; le demi-mois courant sera porté en
conséquence à 25 L. Je trouve à m'arranger avec la Perrin en m'associant
à M. Goubeaud ; elle nous fournirait la pitance pour 30 L. chacun par mois ; mais il
faudrait y joindre notre pain et notre vin. Chacun fournirait le sien. Mon pain serait à
4 S. 6 D. la livre. Pochon pourrait m'apporter du vin de Lyon à 1 sou par bouteille
environ dans un petit baril. La bouteille de mauvais vin coûte ici 8 à 9 sols.
C'est celui qu'on boit chez M. Beauregard à peu de chose près. Tout cela me
déterminerait à rester à 50 livres chez Mme Beauregard. Mais tu sais que
M. Riboud jugeait convenable que je quittasse cette maison et je ne retrouverai point de si
bonne occasion. Enfin je perdrais moins de temps en mangeant au collège. J'ai
demandé du temps pour délibérer et j'attends ton avis avant de prendre
aucune décision. Du dimanche soir – On a fait ce jour une
assemblée pour proclamer les élèves vainqueurs à l'examen. On m'y
avait invité et j'y ai entendu un discours de M. Mermet dont j'ai été peu
content. Je suis allé ensuite chez M. Clerc qui m'a emmené, avec MM. Luc et
Mermet, pour voir des pierres curieuses dont un de ses élèves, employé
dans le génie sur les Alpes, lui a envoyé une boîte. De là, nous
avons été nous promener tous quatre dans le parc de Challes. Cet endroit est
charmant ; mais j'ai perdu ainsi une après-dînée dont j'aurais eu besoin
pour travailler et que je ne retrouverai pas. Je crois pourtant qu'il aurait été
peu convenable de refuser cette promenade. Je te prie bien, ma bonne amie de ranger mes cahiers
bien en sûreté ; ils me seront si utiles quand je professerai au lycée de
Lyon si je suis jamais assez heureux pour cela. Je voudrais bien savoir sous peu de jours
l'avis de ma petite Julie au sujet de ma pension ; car mes deux marchés, ignorés
réciproquement des deux partis et les circonstances peuvent d'un jour à l'autre
me forcer à m'expliquer. Des deux manières, je ne payerai rien quand j'irai
à Lyon ; mais il faudra également me fournir du vin pour mon déjeuner. Mme
Beauregard le retranche du nouveau marché, malgré l'augmentation. Quant aux
autres pensions, on y donne 60 L. par mois et l'on n'apporte de l'auberge qu'à 24 S. ou
30 S. pour la pitance d'un dîner qui sert aussi pour le soir. Du lundi [26
avril] – J'ai reçu aujourd'hui un bien joli cadeau de ma tendre épouse qui
ne veut pas que son mari soit privé du seul plaisir qu'il peut goûter loin d'elle
(2). Je veux parler d'une lettre où je lis que tu te portes mieux. Tu fais bien de
prendre les plus grandes précautions pour ta santé ; dans l'état de
délabrement où elle est, tout ce qui pourrait te fatiguer serait de la plus
grande conséquence. Mon petit a donc une paume et sait bien la jeter. Ce pauvre petit me
cherche et je voudrais bien qu'il pût me trouver ; car je serais près de lui et de
sa maman. Dis bien des choses de ma part, je t'en prie, à maman, à la tienne et
à toutes tes soeurs. Que tu m'as écrit de jolies choses, ma bonne amie ! Tu
ne seras plus malade aux vacances parce que tous ceux que tu aimes et que tu rends heureux
seront près de toi. Oh, si je savais te guérir en retournant à Lyon, comme
j'abandonnerais vite l'École centrale et tout : mais, bien loin de là, je
contribuerais à te rendre malade en te donnant de l'inquiétude et en
détruisant mes espérances d'un sort plus honnête. Tu me dis que mes lettres
te font du bien, tu peux penser si tu les recevras longues ! Malheureusement il est l'heure
d'aller souper et celle-ci ne contient pas la moitié de tout ce que j'aurais voulu te
dire. A demain matin, ma bonne Julie, dors bien cette nuit et songe ce soir à ton mari
pour lui dire un petit adieu ! Il sera si loin de toi et aurait tant d'envie de pouvoir du
moins baiser le bord de ta couverture, comme je faisais quelquefois en te disant bonsoir.
Du mardi matin [27 avril 1802] – J'ai oublié, ma bonne amie, de te dire que
les vacances des décadis et quintidis sont déjà supprimées dans
cette école et qu'on est libre le dimanche et le mercredi. On a
préféré ce dernier au jeudi à cause que c'est le jour du
marché et que cela accommode mieux plusieurs professeurs, surtout ceux qui sont en
ménage. Il y a sept ans que je m'étais proposé un problème de
mon invention que je n'avais point pu résoudre directement, mais dont j'avais
trouvé par hasard une solution dont je connaissais la justesse sans pouvoir la
démontrer. Cela me revenait souvent dans l'esprit, et j'ai cherché vingt fois
sans succès à trouver directement cette solution. Depuis quelques jours, cette
idée me suivait partout. Enfin je ne sais comment, je viens de la trouver, avec une
foule de considérations curieuses et nouvelles sur la théorie des
probabilités. Comme je crois qu'il y a peu de mathématiciens en France qui
puissent résoudre ce problème en moins de temps, je ne doute pas que sa
publication dans une brochure d'une vingtaine de pages ne me fût un bon moyen de parvenir
à une chaire de mathématiques dans un lycée. Ce petit ouvrage
d'algèbre pure et où l'on a besoin [sic] d'aucune figure, sera
rédigé après-demain. Je le relirai et le corrigerai jusqu'à la
semaine prochaine que je te l'enverrai par Pochon. Je remets à la même
époque de t'envoyer : le gilet de Carron, les gros bas de laine, les 6 louis dont je
t'ai parlé, les gros bas blancs à côtes. S'il faut y joindre quelque autre
chose, tu as, à partir d'aujourd'hui, 8 jours pour me l'écrire. Dès que
mon manuscrit sera arrivé à Lyon, il faut qu'il s'imprime. Tu en prieras de ma
part tes cousins, et tu leur feras observer qu'il n'a dérobé qu'une huitaine
à mon ouvrage de physique que je vais reprendre avec ardeur. Mais il faut tâcher
de t'assurer qu'ils en recevront le prix dès que l'impression sera achevée. Les 6
louis de ce mois et les 7 du mois prochain serviront pour cela, et la place du lycée me
sera assurée. Observe que nous vendrons bien plusieurs de ces brochures ; mais je
crois qu'il faudra en faire beaucoup de présents, surtout aux savants de Paris dont la
réputation est faite. Adieu, ma bonne amie, je t'écris encore pour te
donner de l'embarras ; mais tout cela ne durera pas. L'avenir, comme tu le dis dans ta jolie
lettre, nous offre en perspective ta santé rétablie, une bonne place à
Lyon et le petit toujours charmant et bien portant. Une idée plus douce encore pour moi,
c'est que tu m'aimeras toujours. Je t'embrasse, et le petit, tu sais de quel coeur.
(1) Douze pages in-4°, 18 x 24 en trois feuillets. Sur la dernière page, adresse et timbre :
Bourg, 10 (Floréal an X ou 30 avril). Plusieurs passages ont été publiés par Mme Cheuvreux,
p. 176, 177, 208, 195 et 196.
(2) Lettre du 23 avril p. 133.
if ($lang=="fr" AND $val['bookId'] < '834') { print "Lettre publiée dans "; } ?>
if ($lang=="en" AND $val['bookId'] < '834') { print "Publish in :"; } ?>
Correspondance du Grand Ampère, tome I, p.
133-134-135-136
Source de l'édition électronique de la lettre : DE LAUNAY (Louis). Correspondance du Grand Ampère. tome I. Paris : Gauthier-Villars, 1936. p. 133-134-135-136
Autre source de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXVI, chemise 393 quarto (Douze pages in-4°, 18 x 24 en trois feuillets. Sur la dernière page, adresse et timbre : Bourg, 10 (Floréal an X ou 30 avril).) Les pages du manuscrit sont dispersées dans la chemise.
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr112.html
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