@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L1079

Présentation de la Correspondance

Roux-Bordier, Jacques      à      Ampère, André-Marie

A Monsieur Ampère, professeur à l'Ecole polytechnique, inspecteur de l'Université, cour du commerce n°19, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, à Paris.
Genève, 6 mars 1810

Il y a longtemps mon cher Ampère que j'aurais dû vous écrire, mais j'attendais une occasion, afin de vous éviter de trop grands frais, m'étant proposé d'être un peu long en ma correspondance.
Je n'ai pas reçu votre première lettre sur l'acide muriatique oxygéné mais j'ai reçu la seconde que vous aviez remise à Prial dans laquelle vous me communiquiez les nouvelles opinions qui commençaient à s'introduire en chimie.
Je ne suis point à même d'entrer en discussion, il y a 2 ans que je n'ai lu ni les Annales ni aucun mémoire de chimie. J'attends que ce chaos soit débrouillé, pour me remettre au courant, et alors j'étudierai les nouvelles découvertes.
Ce bouleversement est affligeant ; il prouve l'incertitude de la science. Nous avons une bonne statique chimique de Berthollet. Mais la métaphysique de la science manque. Et c'est faute d'avoir cette métaphysique que l'on flottera d'expérience en expérience.
Dans ce moment je m'occupe d'agriculture et toujours de physiognomonie. Mais celle-ci n'avance point. Je m'étais proposé cet hiver de mettre au net ma théorie des facultés physiques – et je n'ai rien fait, ma [force] d'attention et de méditation ayant prodigieusement baissé. Je n'ai pu tracer le plan de ce labyrinthe. Les matériaux sont découverts depuis longtemps, j'ai enfilé bien des routes, mais le plan, [l'ensemble] manque. Il faudrait avoir votre force de tête pour élever l'édifice.
Si la métaphysique physiologique était plus avancée, c'est elle qui devrait offrir le plan d'où l'on déduirait la [métaphysique physiognomonique]. Mais malgré tous les travaux des Modernes, elle n'est elle-même qu'un chaos. Il fut un temps où l'on prétendait que Locke et Condillac avaient tout fait…!
Connaissez-vous la Philosophie de l'esprit humain de Stewart, traduite par Prévost de Genève ? C'est une métaphysique dans le goût de celle de Locke ; mais bien supérieure. Elle ne dérive point de la Physiologie comme celle des Français, ni de nos Connaissances comme celles des Allemands.
En relisant mes notes physiognomoniques je suis tombé sur ce qui concerne le rappel de nos connaissances. J'ai copié ces notes et j'en ai fait un petit mémoire que je vous envoie. Lisez-le avec attention. Je crois avoir fixé ce point important de la métaphysique. J'ai combattu la théorie de Maine Biran [Maine de Biran] et de Degérando. J'ai cherché à préciser la question tant débattue des notions abstraites et cherché à montrer tout ce que nous pouvions découvrir de ce phénomène et le point où il fallait s'arrêter. J'ai substitué le terme connaissance au mot idée, et vous sentirez pourquoi.
Quand vous l'aurez lu, communiquez-le à Maine Biran et même à Degérando, si vous jugez ce petit mémoire assez important pour le mériter. Je crois que ces deux métaphysiciens ont erré dans la théorie de la connaissance en voulant être trop rigoureusement physiologistes.
Vous m'écrirez ce que vous en pensez. Adressez votre lettre par occasion d'amis à Bonjour à Lyon.
Je dis par occasion d'ami, vous éviterez les frais de port. Car je suis un agriculteur et non un professeur à 14 000 livres d'appointements. Je serai dans un mois et demi à Lyon.
Ou bien à Ballanche si vous préférez parce que je le verrai en passant à Lyon.

Vous trouverez dans le paquet un autre mémoire, relatif aux droits d'octroi établis dans le Midi.
Si M. Degérando était à Paris, vous le lui auriez remis. Si vous connaissez quelque Maître des Requêtes, ou quelque commis du Ministère de l'Intérieur ou des Finances, vous le leur remettrez. Mais sans dire ni d'où il vient, ni de quelle part. Il s'agit de réparer une grande injustice qui pèse sur l'agriculture de nos contrées du Midi. Quand vous l'aurez lu vous en serez persuadé. Mais je vous en prie, si on vous demandait d'où il vous est parvenu, n'en dites rien, cela est inutile.
Vous vous occupez d'économie politique et je m'étais proposé de vous écrire très au long
1° sur les voies
2° sur les manufactures de coton
3° sur la condition des soies à Lyon.
Mais ma lettre est déjà si pleine de toutes sortes de choses, que je renverrai à vous écrire de ma campagne sur ces différents sujets.

Bruce, dont vous connaissez l'ouvrage intitulé Voyage aux sources du Nil en Abyssinie rapporte que le baromètre sur les bords de la Mer Rouge se tient à 26 pouces. Vous qui voyez des savants qui ont été en Egypte, demandez-leur si le fait est vrai. Alors l'élévation de la Mer Rouge sur la Méditerranée serait décidée. Je ne comprends pas comment cette observation a pu échapper à Bruce qui se moque du nivellement des géomètres grecs qui établissait cette plus grande élévation.
Adieu mon cher. Marquez-moi vos travaux dans les différentes sciences.
Mille amitiés à Prial et à Martin.
Montez SVP chez M. Hachette et faites-lui je vous prie mes amitiés, ainsi qu'à Thenard et à M. Vauquelin si vous les voyez.
Votre inspection d'université ne s'étendra-t-elle point jusqu'en Dauphiné et ne passerez-vous point à Montélimar ?
Adieu, tout à vous,

Bodmer
[Roux-Bordier]

Mon adresse à Genève : A M. Roux-Bordier du Moleron, à Genève

P.S. : Je n'ai pas de copie du mémoire que je vous envoie, aussi ne l'égarez pas. Mandez-moi si Maine Biran travaille en métaphysique. Connaît-il l'Institution de Pestalozzi en Suisse ? Sa Méthode d'éducation est celle qu'a prescrite Maine Biran dans son ouvrage. Et il est facile de montrer ses avantages et ses défauts. Vous en êtes-vous occupé ? Si vous trouviez le mémoire sur les octrois trop mal écrit, faites-le recopier par une belle plume avant de le communiquer. Il s'agit je vous le répète d'une injustice grave qui pèse sans fruit pour l'Etat sur l'agriculture. Et vous n'avez pas, je pense, l'amour du Bien public seulement en théorie.



  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 332.


Voir le fac-similé :
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr1079.html

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