Roux-Bordier, Jacques à Ampère, André-Marie
Monsieur Ampère, inspecteur général de l’université, cour du commerce n°19, près la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, Paris
Genève,
1er janvier 1811 Je vous ai écrit, mon cher Ampère, il y a quelques jours, en réponse
à votre lettre. J’y discutais de nouveau l’affaire en question de la place
d’inspecteur général, et je vous présentais de nouveaux motifs, qui
auront attiré de votre part une sérieuse attention. Vous conserverez ma
dernière lettre avec la précédente, vous les réunirez et en ferez
un corps dont vous ferez [l’extrait ?] afin de pouvoir agir s’il y a lieu. Je
continue malgré mon inertie et mon incapacité à travailler pour vous, je
vous assure que le travail me coûte beaucoup à présent, et qu’il faut
toute mon amitié pour vous et le désir de faire [voir clair ?] enfin dans la
métaphysique pour me faire [composer]. Quand j’ai écrit une page ou deux,
je m’arrête tout épuisé. Mais j’ose vous annoncer que
j’ai des vues lumineuses sur votre tableau, quoique je l’attaque vigoureusement, je
présume que nous serons d’accord, parce que je ne fais que développer les
fondements et les principes dont nous sommes convenus. Dans une [dizaine] de jours, mon
mémoire sera prêt à vous être envoyé. J’ose encore
vous dire que si M. Maine Biran [Maine de Biran] a été si satisfait du
mémoire sur le Rappel de la connaissance de l’année passée, il le
sera bien davantage de celui-ci ; car ce sont les principes dont le mémoire
n’était qu’une conséquence. Mais mon cher, si vous en venez à
une publication, vous me rendrez quelque justice et voudrez bien dire que je vois [clair] dans
la science, car mes compatriotes qui se sont occupés de cet objet, ne voyant encore que
leur [Boucret ?] ou leur école anglaise, me croient un fou dans ces matières.
Enfin à 10 jours l’envoi. Avant que de lire ce nouveau mémoire, il sera
bien que vous relisiez l’ancien. Maintenant je viens vous rappeler notre
conversation de Montélimar, au sujet de M. Tourtel, maître de pension ou
régent d’une des classes. Je m’intéresse fortement à cet
instituteur (qui est bachelier et licencié dans les lettres). On va fonder un nouveau
collège à Montélimar, il faut absolument qu’il soit le chef. Il ne
peut être dans de meilleurs mains, votre [conscience ?] y est intéressée.
Sa pension est de plus de 60 élèves ce qui vous prouve qu’il a la confiance
publique. Ce collège sera celui de la ville et remplacera l’école
communale. Il faut que vous écriviez à Grenoble à M. Pal, recteur de
l’Académie, que dans votre tournée vous avez pris des renseignements dans
le département de la Drôme sur M. Tourtel et sa pension, que d’après
ces renseignements votre opinion, conforme au vœu public, est qu’il soit chef du
nouveau collège de la ville de Montélimar. Il s’agit de sauver un
honnête homme, excellent instituteur, des coups sourds que cherchent à lui porter
de faux dévots ou des hypocrites. Je vous envoie ci-joint copie d’une lettre
que je reçois d’un de mes parents à cet égard. Vous verrez
qu’il faut que vous agissiez de suite. Enfin mon cher, ce sont là les
véritables affaires de votre place et vous êtes heureux que votre capacité
et vos grands moyens vous aient placé assez haut pour pouvoir influer sur la
destinée de l’éducation dans une nombreuse population. Adieu, tout
à vous J. Roux-Bordier. PS. Vous vous rappelez que M. Tourtel a
été curé et s’est marié en quittant sa place, où il
était persécuté durant les orages de la Révolution, c’est
là le grand champ de bataille de ses adversaires, mais faites comme si vous
l’ignoriez. M. Tourtel est très considéré du préfet -
il écrit parfaitement en français – qui l’a chargé de la
rédaction de la Statistique. Ecrivez de suite à Grenoble, je vous en
conjure, ne craignez pas de vous compromettre. On écrasera le serpent de l’envie
par l’énergie. [joint à cette lettre] Copie de la
lettre de Montélimar. Je profite de cette occasion, pour vous parler de M.
Tourtel, et vous prier de vous rappeler de l’intérêt que vous prenez
à ce qui le regarde et sur tout ce qui a rapport à son établissement
d’instruction. Il s’agit de votre recommandation auprès de votre ami M.
Ampère. Le moment de l’employer est arrivé. Voici l’état des
choses. Une lettre de votre part à cet inspecteur général serait
nécessaire. Celui-ci écrirait dans un sens favorable à M. Pal, recteur de
l’Académie à Grenoble. Bien loin que M. Pal ait des sentiments contraires
à M. Tourtel, il connaît parfaitement sa conduite et tient hautement de
l’estime pour lui, et le désir de lui être utile. Il ne paraît
hésiter un peu de le nommer chef du collège de Montélimar,
qu’à cause de son mariage, sur lequel quelques personnes ont cherché
à [exciter] pour donner des préventions. Un seul mot répond à
cette allégation. Il est constant que l’établissement de M. Tourtel a
doublé depuis son second mariage, preuve incontestable que les gens honnêtes et
éclairés ne l’en estiment pas moins. M. le recteur,
déjà ébranlé par un mémoire que M. Tourtel lui a
adressé et instruit à fond de toutes les particularités qui le concernent,
pourrait être entièrement gagné s’il voyait M. Ampère se
joindre à quelques personnes recommandables qui déjà l’appuient
fortement, ou qui se disposent à le faire dans cette circonstance. L’article
du mariage ne pourrait être un motif d’exclusion que sous un gouvernement qui ne
protègerait pas la liberté des consciences. Mais dans l’état actuel
il est bien politique d’élever de pareilles questions, c’est calomnier le
gouvernement autant que l’université. La conduite de M. Tourtel a toujours
été honnête, il est généralement estimé, il a la
confiance publique. Sous le rapport religieux, on peut dire qu’il remplit
scrupuleusement ses devoirs envers ses élèves, et qu’il satisfait
pleinement les parents comme [illisible] tous les autres. Il a plus de 20 ans de travaux dans
l’instruction publique, et tous avec succès. Ayant la confiance de M.
Ampère, il suffit du témoignage que vous rendez à M. Tourtel pour
qu’il puisse écrire avec force et sans risque de se compromettre à M.
Pal.
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Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXVI, chemise 393bis.
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr1063.html
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